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«L'heure n'est malheureusement plus aux petites mesures»
Najy Benhassine. Economiste, membre de Nabni
Publié dans El Watan le 10 - 06 - 2013

L'urgence, selon Najy Benhassine, économiste et membre de Nabni, est d'entamer un plan national de diversification de l'économie algérienne.
-Où en est l'état de mise en œuvre des 100 mesures proposées dans le rapport Nabni en 2012 ?
Nous nous préparons à publier, dans le cadre des activités de l'observatoire Nabni des politiques publiques, un bilan de la mise en œuvre des actions en rapport avec les mesures proposées par le rapport Nabni de 2012. Nous pouvons à ce stade dire que malgré l'intérêt des pouvoirs publics pour les 100 mesures que nous avons proposées, très peu ont été mises en œuvre. Il y a eu quelques mesures engagées, à l'exemple du site www.mouwatin.dz, mais nous ne prétendons pas que ces dernières l'ont été en réponse à notre rapport.
L'important est que des débats aient eu lieu autour de nos propositions, qui émanent réellement de la société civile. Ces propositions restent valides aujourd'hui. Le rapport est sur notre site www.nabni.org, et les institutions, les partis et toutes les personnes de bonne volonté peuvent se les approprier et militer pour leur mise en œuvre. Non seulement il n'est pas trop tard, mais l'Algérie a besoin d'un calendrier de réformes à court terme.
-Quels sont, selon vous, les points essentiels à mettre en œuvre pour faire face à la baisse des prix du pétrole sur le marché international ?
L'urgence sur le plan économique est d'entamer un plan national de diversification de l'économie algérienne. C'est dans ce cadre que s'inscrivent les propositions du projet Algérie 2020. Nous avons abordé plus particulièrement les politiques publiques qui pourraient traduire et accompagner un tel plan, que ce soit en termes de politique fiscale et budgétaire, de politique industrielle, de politique commerciale, de politique d'emploi et, de manière transversale, en termes de gouvernance économique.
Sur le moyen terme, il y a urgence. Le virage économique doit être entamé immédiatement pour espérer éviter une crise sérieuse dans les 5-7 ans à venir.
-Dix mois après l'installation de Abdelmalek Sellal à la tête du Premier ministère, comment voyez-vous l'application de son plan d'action au chapitre économique ?
Il y a eu un réel effort de la part du gouvernement d'écoute des acteurs de la société civile et du secteur économique. Nabni a d'ailleurs été convié par le Premier ministre à présenter à la fois les mesures de court terme du rapport Nabni 2012 et le rapport sur l'Algérie 2020 et nous continuons à être sollicités par certains ministères pour faire des propositions de nouvelles politiques. La volonté d'agir est également perceptible. Quelques mesures ont été prises et d'autres sont apparemment en préparation pour faciliter les choses pour les citoyens et les chefs d'entreprise.
Mais nous restons convaincus que notre pays a besoin d'une stratégie globale bien plus ambitieuse et audacieuse, afin de prendre le grand Virage que nous définissions dans notre rapport sur l'Algérie 2020. L'heure n'est malheureusement plus aux petites mesures.
-Nabni a toujours appelé à mettre fin à la politique des subventions. D'un autre côté, le gouvernement prône la prudence dans les dépenses…
Non, Nabni n'a pas appelé à mettre fin à la politique des subventions. Certaines subventions sont nécessaires, elles répondent à un impératif de justice sociale, notamment s'agissant des produits de première nécessité, le logement social pour les plus défavorisés, la santé publique, etc. Tout ce système de redistribution sociale doit être maintenu et renforcé, même s'il gagnerait à être mieux ciblé vers les ménages qui en ont le plus besoin.
D'autres subventions peuvent aussi avoir un objectif économique, notamment en termes de soutien à l'innovation des entreprises ou à leurs exportations. Nous sommes pour ce type de subventions et elles doivent être renforcées dans leur efficacité comme nous le proposons dans la stratégie, Algérie 2020. Par contre, les subventions des produits énergétiques sont, elles, inefficaces, injustes (elles bénéficient plus aux ménages les plus aisés qui consomment plus d'énergie), coûteuses pour l'environnement (surconsommation) et pas soutenables pour notre budget.
Aussi, au rythme de croissance de la consommation interne d'énergie, nous n'aurons bientôt plus d'hydrocarbures à exporter, c'est ce que nous indiquons dans notre rapport Algérie 2020, par des simulations qui se basent sur des hypothèses relativement optimistes. Réduire les subventions énergétiques est effectivement urgent. Mais notre pays peut se permettre d'étaler cette baisse sur un horizon d'au moins 5 ans pour qu'elle ne soit pas trop brutale. Beaucoup de pays n'ont pas eu ce luxe. N'attendons pas d'être en crise pour le faire sous contrainte lorsque nous serons «au pied du mur».
Enfin, nous proposons de compenser ces hausses de prix de l'énergie par un système de transferts monétaires directs aux ménages les plus démunis. Ce sont les chantiers 3 et 4 de la stratégie économique de Nabni 2020. Ils sont fondamentaux et urgents. S'agissant des dépenses publiques, nous sommes contre l'austérité et pour que l'Etat continue à jouer un rôle majeur par l'investissement public pour soutenir la croissance et la diversification.
Cependant, il s'agit d'être plus efficace, d'augmenter l'effet d'entraînement de ces dépenses sur la croissance, de développer le tissu d'entreprises qui puissent absorber ces larges commandes publiques, de réduire le gaspillage et la corruption, etc. Par contre pour que ces dépenses soient soutenables, il ne faut pas nécessairement les baisser, mais augmenter les recettes et l'assiette fiscale, et augmenter la croissance et la diversification économique. Pour reprendre l'analogie avec le Titanic qui se dirige vers l'iceberg : il ne s'agit pas de couper les moteurs, ça ne fera que retarder un peu plus l'impact, mais au contraire d'entamer et de soutenir le virage économique en maintenant une cadence efficace de l'investissement public. C'est très dur de faire tourner un navire qui ralentit !
C'est ce que nous proposons dans notre stratégie économique qui se base sur une hypothèse de maintien du niveau élevé des dépenses d'équipements.
En disant celà, nous soulignons encore une fois la nécessité d'accompagner cet effort par une vraie stratégie de développement des capacités nationales et une lutte sans merci contre la corruption et le gaspillage. Enfin, rappelons que la réduction du niveau des subventions était inscrite dans le programme du gouvernement de M. Belkhadem et que rien n'a été entrepris depuis…Il faut certainement revoir le niveau des subventions sur les produits de première nécessité, que ce soit en termes de nombre de produits et surtout en termes de niveaux de prix afin d'éviter de peser sur le budget de l'Etat, de faire exploser les niveaux de consommation, d'alimenter les trafics aux frontières. Le rapport Nabni 2020 propose des solutions permettant une meilleure justice sociale dans la distribution et une réduction du gaspillage.


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