La ville de Bruxelles était ébranlée, il y a quelques jours, par un tragique événement qui relève pleinement de cette sociologie de la communication, dont Ahmed Bedjaoui a défendu l'impérieuse nécessité dans ces mêmes colonnes. Il s'agissait d'un dramatique fait divers qui avait couté la vie à un adolescent assassiné pour un baladeur mp3. L'évènement crée une vive émotion en Belgique et plus largement en Europe. Une terrible nouvelle qui sape le moral des Bruxellois qui estiment être retombés dans les dangers de l'insécurité. Les médias relayant la tragédie tentent d'en percer les tenants et aboutissants. Des témoins sont interrogés et certains d'entre eux n'hésitent pas à décrire les agresseurs du jeune Joe comme des Maghrébins. Une information qui retentit comme un coup de tonnerre dans les milieux de l'émigration qui, devant les caméras de télévision, mettent en garde contre les amalgames. Il n'y a pas la preuve d'une implication tangible d'un Maghrébin, mais beaucoup d'associations redoutent que certaines déclarations soient instrumentalisées à des fins racistes. Il n'y a aucun fait patent, mais les enquêteurs belges font leur travail et un examen minutieux des images de vidéo surveillance liées à l'assassinat du jeune Joe leur permettent d'avancer sur une autre piste. Il identifient le complice de l'assassin qui a porté les coups de couteau à la malheureuse victime. C'est un Polonais de 17 ans vivant en situation illégale en Belqique. Dès lors, l'assassinat du jeune Joe prend une autre tournure. Il révèle la psychose qui s'est immiscée dans le quotidien de nombre de capitales européennes, le recours à des raccourcis périlleux. Dans cette affaire, les soupçons ont immédiatement porté sur des ressortissants maghrébins, car c'était l'hypothèse la plus rapide. Ce syndrome de la culpabilisation de l'autre peut faire des ravages et dans ce cas de figure il souligne que les technologies nouvelles ont permis d'éviter une erreur fatale. C'est toute la communauté maghrébine en Belgique qui en aurait pâti. La mémoire de Joe est fort heureusement préservée, car justice lui sera rendue. Les médias et les plus lourds d'entre eux, qui peuvent façonner l'opinion, y trouvent du grain à moudre, car le tragique évènement qui a coûté la vie à Joe enseigne de savoir faire la part des choses. On a vu qu'il peut y avoir une part pour la manipulation, lorsque la psychose et la peur de l'autre sont délibérément entretenues et que les extrémistes en font leur fonds de commerce. La compassion exprimée après la mort de Joe a réveillé des devoirs de précaution au sein des communautés émigrées, mais aussi chez les démocrates belges. La solution ne consiste pas à donner une prime aux évidences préfabriquées. Au final, c'est le même souci de dévoiler la vérité qui a sans doute guidé la justice, les enquêteurs et les associations de la société civile belge. Ce n'est pas alors des médias qu'il faut attendre un mea culpa, mais de tous ceux qui travaillent, pas seulement en Belgique, à empoisonner la vie en commun et à gommer l'art de vivre ensemble. Toute l'affaire rejoint l'énoncé hitchcockien du faux-coupable. De fait, c'est la manifestation de la vérité, grâce aux images vidéo qui a empêché des dérives ou un durcissement du rapport avec les communautés émigrées. C'est une responsabilité majeure des médias, au titre de la pédagogie attachée à leur mission que d'aider à désamorcer de telles crises. Surtout si de telles méprises sont appelées à se répéter. Nul ne peut dire qu'il ignore ce qui se trouve au bout de l'excès et de la politique du pire.