L'Egypte s'apprête à négocier un virage très délicat pour son avenir. L'affrontement paraît fatal. L'opposition va réclamer une présidentielle anticipée. La méga-manifestation annoncée par les adversaires – de plus en plus nombreux – du président Morsi risque de déraper. Les festivités du 30 juin, qui marqueront le premier anniversaire de l'élection du président issu des Frères musulmans, risquent de tourner au cauchemar. Les opposants au président Morsi, dont les effectifs vont au-delà du fameux Front du salut national (FSN), promettent une mobilisation impressionnante pour réclamer… la démission de Morsi et la tenue d'une présidentielle anticipée. Ce mot d'ordre n'est en effet plus une coquetterie politique en Egypte où les manifestations et les heurts entre contestataires et forces de sécurité rythment sans arrêt la vie depuis une année. Ironie du sort, le président Morsi, qui a été élu in extremis face au candidat du pouvoir Ahmed Chafiq, aura droit à un drôle de cadeau d'anniversaire : «Dégage !» Ce juron explosif sera poussé par des milliers de poumons la semaine prochaine à la célèbre place Tahrir. C'est le retour de flamme d'une révolution égyptienne inachevée parce que confisquée «démocratiquement» par les Frères musulmans. Aussitôt après avoir pris les leviers de commande, le gentil Morsi a sorti ses griffes contre ses opposants et mobilisé ses troupes et ses alliés salafistes pour imposer un fait accompli à ses adversaires qui pointent son autoritarisme. En voulant dicter sa loi au peuple d'Egypte traversé par une multitude de courants politiques et idéologiques, le président des Frères aura choisi le passage en force. Via son parti qui a mis sous son aile toutes les institutions élues, il a entrepris de régenter la vie politique profitant d'un succès électoral, il est vrai important, mais tout de même entaché d'irrégularités. «Mohamed Morsi Moubarak» ! Le fait est que la Cour constitutionnelle a invalidé l'élection du Conseil consultatif (Sénat) et la Commission constituante. Elle eut aussi à rétorquer à plusieurs projets de loi ou des décisions prises par le président Morsi. Un signe que la tentation autoritaire est de plus en plus évidente chez le nouveau «raïs» d'Egypte qui veut se donner des pouvoirs pharaoniques. Mais en face, ceux qui ont fait dégager Moubarak n'entendent pas se laisser impressionner par Mohamed Morsi qu'ils désignent ironiquement : «Mohamed Morsi Moubarak»… Un cinglant camouflet pour un homme censé nettoyer l'héritage de Moubarak ! C'est fort de cette grosse frustration que les Egyptiens vont redescendre massivement la semaine prochaine dans la rue pour tenter de retirer leur confiance à Morsi. Ce sera un moment très symbolique et peut-être décisif pour le pouvoir des Frères. Preuve en est qu'une instruction a été donnée à l'armée de se mobiliser pour contrer cette grande manifestation. Drôle d'anniversaire pour Morsi Le ministre égyptien de la Défense a ainsi averti hier que l'armée interviendrait si des heurts éclataient dans le pays à l'occasion des rassemblements prévus dans les jours à venir par les opposants au président Mohamed Morsi. «Les forces armées ont le devoir d'intervenir pour empêcher l'Egypte de plonger dans un tunnel sombre de conflits et de troubles», a déclaré Abdel Fattah Al Sissi. Mais le bruit des bottes se fait déjà entendre dans la ville de Mahala dans le gouvernorat d'El Ghrarbya, capitale du Delta du Nil, où les forces de l'ordre égyptiennes se sont déployées, suite aux affrontements entre des manifestants et des éléments du parti salafiste Ennour, dont le siège a été envahi et incendié par des inconnus. Dans le gouvernorat de Kafr Echeikh au nord de l'Egypte, les habitants ont incendié, la nuit dernière, des locaux des Frères musulmans et retenu sept d'entre eux dans l'une des mosquées de la ville. Le mouvement a été déclenché lorsqu'un membre du Front du salut (opposition) a été agressé par des éléments du groupe des Frères musulmans. Ces événements, qui se sont poursuivis durant les deux dernières semaines dans certains gouvernorats, sont le résultat de l'escalade de la tension entre partisans et opposants au président Mohamed Morsi. C'est dire que la journée du 30 juin pourrait remettre le compteur à zéro dans un pays où une bonne partie du peuple ne voit pas trop de différence entre Moubarak et Morsi. Pour eux, c'est juste que la dictature se soit parée d'un qamis et d'une barbe…