Vive tension au pays du Nil. Une année seulement après son élection à la tête de l'Egypte, le président islamiste Mohamed Morsi dirige un pays au bord de la rupture. Il est de plus en plus contesté par un mouvement d'opposition regroupant plusieurs partis et groupes sociaux. Accusé d'avoir renié les engagements qu'il avait pris durant sa campagne électorale, Mohamed Morsi, issu de la confrérie des Frères musulmans, cristallise la colère des Egyptiens. Son rejet est massif et son départ est fermement revendiqué. Le mouvement Tamarod (rébellion), fer de lance de la contestation, qui a rassemblé 15 millions de signatures, réclame le départ du président Morsi et demande une élection présidentielle anticipée. Ce mouvement, qui a pris la forme d'une désobéissance civile, a lancé depuis des semaines une opération à travers les campagnes et dans les villes du pays, qui a donné corps au sentiment de rejet de la politique menée par Morsi, souvent inspirée par la confrérie des Frères musulmans. D'extractions politique et sociale diverses, les membres du mouvement Tamarod, qui préparent une mobilisation générale pour dimanche 30 juin, revendiquent «le départ de Morsi, la tenue d'une élection présidentielle anticipée, confier la gestion des affaires du pays à la Cour constitutionnelle et la mise en place d'un gouvernement d'union nationale, prélude à une période de transition pour se réapproprier la révolution égyptienne que les Frères musulmans veulent confisquer. La déception a gagné de nombreux Egyptiens, y compris parmi ceux qui avaient voté pour Morsi l'an passé. Moi-même j'ai voté pour lui, mais au final Morsi a préféré satisfaire les intérêts de la Gamaâ plutôt que ceux de l'Egypte», nous a confié Mouna Salim, porte-parole du mouvement. Pour elle, les 15 millions d'Egyptiens qui ont adhéré à l'appel de «rébellion» est un référendum contre Morsi, qui apparaît plus comme un chef de clan (la confrérie) qu'un Président rassembleur. Le chef de file de l'opposition, le prix Nobel de la paix, Mohamed El Baradei, au nom de la coalition du Comité de salut national, a également réclamé le départ du président Mohamed Morsi pour «permettre au pays de renouer avec l'esprit de la révolution du 25 janvier». Acculé de toutes parts et surtout pris de court par l'ampleur de la contestation, Morsi rameute ses partisans. Les différentes factions islamistes redescendront dans la rue vendredi prochain pour tenter de «sauver» un Président en difficulté. Les pro-Morsi promettent «l'enfer» aux opposants. Un clivage sur fond de tensions politiques qui menace de plonger le pays dans de nouvelles violences. «Il règne une atmosphère d'inquiétude, le risque d'affrontements violents est redouté, les islamistes seraient tentés d'envoyer leurs troupes pour provoquer de la violence, le 30 juin», craint un animateur du Mouvement du 6 avril. Les Egyptiens gardent en mémoire les tragiques évènements de décembre 2012 qui ont coûté la vie à une dizaine de manifestants aux alentours du palais présidentiel. Son autorité est sérieusement écornée. Le président Morsi tentera de désamorcer la situation de plus en plus explosive en s'adressant, demain, aux Egyptiens dans un discours à la nation. «Que va-t-il dire encore ? Hormis ses partisans de la confrérie, personne ne va le croire. C'est un Président qui a déçu et surtout qui trahi le sang des Egyptiens qui a coulé pour la liberté et la dignité. De reniement en reniement, Mohamed Morsi a divisé le pays et les Egyptiens. Il est otage de la confrérie qui cherche, depuis la prise du pouvoir, à imprimer au pays un modèle islamiste en effaçant la pluralité politique, culturelle, cultuelle qui le caractérise. Un an après son élection, Morsi a installé l'Egypte dans un climat politique explosif en dressant les uns contre les autres. D'un côté les Frères musulmans, soutenus par d'autres factions islamistes et, de l'autre, le reste du peuple égyptien, qui rejette les dérives autoritaires du pouvoir», analyse le constitutionnaliste Yahia Al Gamal. En somme, les Frères musulmans, qui gouvernent seuls le pays, n'ont pas réussi, au bout d'une année d'exercice du pouvoir, à négocier le virage de la transition démocratique, tout comme ils ont lamentablement échoué à endiguer la crise économique qui plombe le pays. Leur fameux projet de «nahda» n'a pas trouvé sa traduction sur le terrain. A l'épreuve du pouvoir, les islamistes se sont montrés, au final, incapables d'être les bâtisseurs d'un nouvel ordre politique et social. Deux ans après la chute de l'ancien raïs, Hosni Moubarak, les Egyptiens, toujours mobilisés, veulent refaire la révolution. Cette fois-ci contre le pouvoir des «Frères».