De longs mois de controverses et d'altercations n'ont, semble-t-il, pas suffi à l'Assemblée nationale constituante pour épargner la troisième et dernière mouture du projet de Constitution de contestations sur des questions fondamentales. Tunis De notre correspondant Les débats en plénière risquent d'être fort nourris, notamment sur l'équilibre entre les pouvoirs et les dispositions transitoires. L'information sur la récente rencontre entre les constituants islamistes d'Ennahdha et les experts Yadh Ben Achour et Ghazi Gheraïri, pour évaluer la dernière mouture de la Constitution, traduit l'impasse que traverse l'Assemblée nationale constituante (ANC) en Tunisie. Les experts ont été en effet entendus à plusieurs reprises durant le processus de rédaction de la Constitution. Ils ont présenté leurs observations aux commissions constitutionnelles pendant les débats. Ils ont analysé les deux premières moutures. Mais le projet n'avance pas comme il se doit, parce qu'on les entend mais on ne les écoute pas. Le comble, c'est que cette rencontre s'est tenue après deux étapes de dialogue national, ce dernier a réuni toutes les parties politiques, qui se sont terminées sur une note positive. Mais, c'était méconnaître Ennahdha. Les mêmes différends sur l'équilibre entre les pouvoirs, des prérogatives du président de la République, des dispositions transitoires, ainsi que celle du rôle et de la composition de la Cour constitutionnelle, ont ressurgi. Ennahdha s'est tout bonnement désisté de son engagement pris sous le contrôle de la société civile et de tous les partis politiques. Les islamistes ne veulent/peuvent pas fâcher leur base radicale. Que disent en effet les propositions d'Ennahdha à ce niveau ? Divergence d'opinions D'abord, Ennahdha n'a pas renoncé à son régime (de prédilection) parlementaire. Car, au-delà des appellations, le projet final continue à dépouiller le président de la République de tous les pouvoirs et à investir le chef du gouvernement de superpouvoirs. Ce choix ne traduit pourtant pas les résultats des travaux de la commission constitutive des deux pouvoirs. Et ce différend fait l'objet d'un recours auprès du tribunal administratif. Ensuite, il y a la question des dispositions transitoires qui ont été rédigées par la commission de synthèse et de rédaction sans revenir aux constituants. Ces dispositions prévoient notamment que la Cour constitutionnelle n'a pas le droit de contrôler la constitutionnalité des lois qu'après trois ans (ndlr : de son entrée en fonction), et qu'aucun autre tribunal n'est habilité à vérifier la constitutionnalité des lois. «Autrement dit, celui qui aura les commandes à l'issue des prochaines élections aura toute latitude de mettre en place tout l'arsenal législatif qu'il souhaite, sans se soucier que ces textes de loi soient en conformité avec la Constitution», commente le président de Nidaa Tounes, Béji Caïd Essebsi. «Nous sommes contre ces dispositions même si nous sommes en tête des intentions de vote. Il est impératif d'instituer pour la démocratie, pas la dictature», ajoute le Premier ministre de la transition. «La Constitution, qui devra régir la prochaine période, sera, par ricochet, quasiment suspendue pendant une période de trois ans. Nul besoin d'être un expert en droit constitutionnel pour relever le caractère irrecevable, voire incongru de ces dispositions», poursuit le constituant et porte-parole du parti Al Massar (7 députés, opposition), Samir Taieb. Pour sa part, le politologue Hamadi Redissi est surpris par tant de maladresses. «Manifestement confiant quant à sa victoire aux prochaines élections, Ennahdha semble faire trop de calculs électoralistes et caresser un règne durable sans beaucoup de tracas. Cela revient à vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué. Le mouvement islamiste est, certes, un parti populaire fort d'un important poids électoral, il n'en demeure pas moins qu'il déçoit et n'échappe pas à l'usure du pouvoir», estime-t-il. En face, les islamistes se limitent à dire, à l'instar du président de leur bloc de constituants, Sahbi Attigue, que «le projet de Constitution a beaucoup évolué de l'avis de tous. Même la dernière mouture n'est pas immuable». «Mais de là à dire que nous allons vers des élections en décembre prochain, le compte n'y est pas, surtout en l'absence de Constitution, de commission et de loi électorales, etc.», lui répond le président de la commission du pouvoir judiciaire, Fadhel Moussa.