L'envie me prend de vous parler d'un homme extraordinaire, Al Hassen Ibn Al Haythem – Alhazen pour les Européens –, né à Bassorah en 965 et décédé au Caire en 1039. Considéré comme l'un des plus grands savants de tous les temps, son Traité d'Optique, Kitab al Manadhir, est classé comme l'un des plus importants de l'histoire des sciences. Philosophe, mathématicien, physicien, astronome, c'est avec l'optique qu'il a marqué le monde de l'ophtalmologie à la chirurgie oculaire, et de l'optique géométrique et physiologique à l'étude de la lumière cosmique… On lui doit d'innombrables découvertes ou avancées sur l'œil, le fonctionnement de la vision, la persistance rétinienne, la reconnaissance visuelle, la réfraction lumineuse et j'en passe ! Il est aussi l'inventeur de la chambre noire qui a donné le jour à la photographie. Le «problème du billard d'Alhazen» qu'il posa en développant une question de Ptolémée, ne fut résolu par un chercheur d'Oxford qu'en 1997 ! Mais son histoire avec le calife Hakim, éloquente illustration des rapports entre savoir et pouvoir, n'a pas trouvé à ce jour de solution. Chargé par le calife de trouver une solution aux inondations du Nil, Alhazen partit en expédition jusqu'aux sources du fleuve, concluant à l'impossibilité d'endiguer le phénomène. A son retour, il dut feindre la folie pour échapper à la colère du calife qui l'assigna à résidence durant des années. Il fallut que le sultan meure pour que le savant «recouvre» la raison et retrouve la liberté. Cette envie de vous parler de lui et de vous inviter à aller le découvrir ne relève pas d'une inspiration subite, mais bien de Google dont la page d'accueil arborait, la semaine dernière, le 1048e anniversaire de la naissance d'Alhazen. Il a donc fallu qu'un moteur de recherche, icône de la mondialisation culturelle – et non une source du monde arabe et musulman – mette en valeur ce génie pour que j'y pense et vous y fasse penser, si vous le voulez bien. Pourquoi s'en plaindre après tout ? C'est dans l'ordre des choses qu'Alhazen l'universaliste soit reconnu à l'échelle mondiale. Mais, pendant que des lauréats du bac (tous masculins d'ailleurs quand les résultats donnent environ 2/3 de réussite féminine) parcourent les rues d'Alger en cortèges automobiles bruyants, style galeries de clubs, comment ne pas se demander combien d'entre eux ont entendu parler d'Alhazen ? Il est clair en tout cas que les deux policiers qui se sont précipités sur le ciné-club Chrysalide, lundi dernier, sur la base, apparemment, d'une dénonciation calomnieuse à propos de deux films algériens maintes fois projetés en Algérie – dans des cadres officiels ou autorisés – n'ont pas eu vent des problèmes d'illusions d'optique étudiés par Alhazen. Du coup, j'ai pensé à ce brave génie, visionnant les actualités du Monde arabe et imaginant son calife à la place de Morsi !