Le chaulage des façades et des murs intérieurs des douérate casbadies et des demeures du fahs servait à entretenir l'espace vital tout en donnant fière allure à la cité dont le présent, ô combien c'est dommage, refuse de s'en accommoder. Un présent aussi décati que réfractaire au bon usage d'une tradition que la ménagère peine à perpétuer, à l'approche, notamment, du mois sacré. Jadis, les maisons d'Alger se mettaient dès l'avènement des premières tumultes printaniers dans leurs plus beaux atours. Telle la chrysalide, La Casbah d'Alger, au même titre que celle de Dellys, Koléa, Constantine, Médéa, Blida, se départissait de son manteau d'hiver pour accueillir à bras ouverts la saison des amours qui reprenait ses droits dans un climat chargé de santé et de bonne humeur, duquel s'inspiraient poètes, artistes et troubadours, à l'image de Himoud Brahim dit Momo, qui taquinait la muse. L'astre luisant et flamboyant prend le relais pour scintiller de plus belle sur les parois des demeures de la cité d'Ibn Mezghenna. Chaque propriétaire de douéra, de l'ancienne médina, s'attelait à faire ressortir au lait de chaux la blancheur immaculée de sa bâtisse, pour mettre en valeur le noyau originel qui valut à la cité mauresque d'El-Djazaïr le surnom d'Alger la Blanche, s'ouvrant sur l'une des plus belles baies du monde. C'était une tradition bien ancrée à laquelle nul ne dérogeait. La Casbah El Mahroussa (La bien gardée) tenait à faire perpétuer une coutume séculaire. Les pensionnaires casbadjis, notamment à l'approche du Mawlid ennabaoui ou du mois sacré, se mettaient de la partie pour revigorer le joyau architectural et le faire fleurer bon… On se rappelle de ces échoppes de chaux disséminées dans les ruelles de La Casbah, qui se chargeaient de la vente de la chaux vive ramenée du Sud, plus précisément de la région du M'zab, réputée pour ce type de roche calcaire. On l'appelait «djir El hammar», il donnait une blancheur particulière et entretenait une fraîcheur. On se souvient du lavage biquotidien des rues et venelles de l'antique médina, qui se faisait à grande eau. De leur propreté d'amont en aval. Il n'y avait pas uniquement l'aspect extérieur qui fleurait bon, l'intérieur des demeures se mettait, lui-aussi, sur son trente et un. Chacun des ménages de l'antique médina ou du fahs s'affairait à faire renaître sa bâtisse de la grisaille en ravalant et blanchissant à l'eau de chaux les façades et les murs, du patio jusqu'à la terrasse ou El menzah, où le jasmin, l'églantine et le basilic côtoient le géranium, el khilli et el mardkouch, signe distinctif des citadins. L'opération chaulage dont l'effet ne constituait pas uniquement à détruire les parasites, mais servait à entretenir l'espace vital tout en donnant fière allure à la cité dont le présent, c'est bien dommage, refuse de s'accommoder. Ce réflexe aussi spontané des administrés n'émarge plus au bon sens de l'écogeste d'autrefois. Autres temps, autres mœurs… Le présent semble aussi insensible que réfractaire au bon usage d'une tradition qui ne fait plus recette. Il n'est pas exagéré de dire que le paysage urbain, qu'affichent nos espaces citadins actuels, souffre d'une dysharmonie qui amoche notre cadre bâti. Les réflexes du laisser-aller et l'abandon que cultive le citoyen dans sa cité ont supplanté la culture du bel agencement et de l'esthétique. L'opération d'enlèvement des gravats de La Casbah s'essouffle – indifférence des uns conjuguée à l'incurie des autres. Cependant, pour donner plus de clinquant à ce vieux tissu de la ville du Saint Patron, Sidi Abderrahmane Etthaâlibi, la wilaya déléguée fait parfois dans le faux tape-à-l'œil et l'apparence trompeuse en s'attelant à ravaler certaines façades de douérate. Autrement dit, l'opération badigeonnage des bâtisses ne concerne que le parcours dit touristique qui passe le long de la rue Dris Hamidouche. Une mesure qui n'est pas sans nous rappeler le dicton «ya li mzayen mel bara, ouach halek men dakhal», lance à notre endroit un vieux Casbadji.