21h57, le temps traîne, ralentissant sa cadence pour ces dernières heures de jeûne à Nuuk, capitale du Groenland, où le soleil est insomniaque, refusant de se coucher avant minuit. Nassim, l'Algérien du 60e parallèle, dérégleur climatique, sait que la fin est proche, comme le pôle Nord à quelques mètres de là. Finalement, son rêve n'est-il pas de se tenir debout, au point le plus septentrional, au point zéro exact du pôle, sur l'axe du monde, debout sur la Terre à regarder l'univers ? Aleqa, sa femme rigolarde, ne sait pas où se situe Khemis El Khechna, tout juste un bout de terre brûlant sur la lointaine Afrique. - C'est probablement la seule solution, dit-elle de sa cuisine. En général, Nassim s'arrange pour passer le mois de jeûne sur des latitudes plus basses, au Danemark, en Europe de l'Ouest où, quand il a la nostalgie et l'argent qui va avec, chute jusqu'en Algérie. Mais cette année, c'est sa mère qui lui annoncé qu'elle allait venir à Nuuk, sur une terre glacée qu'elle s'imagine peuplée d'ours blancs à skis et de sauvages Vikings. - Oui, faire venir le président Bouteflika. - Oui Anoriii. Nassim, Aleqa encore moins, l'Algérie est devenu un pays bancal dont son chef tourne sur une chaise roulante. Venir au Groenland sur un traîneau à chiens ? 21h59, Nassim a jeté un œil par la fenêtre où, de chez lui, il peut voir la montagne Sermitsiaq contre laquelle est adossée Nuuk, sur une péninsule déchirée, comme lui, d'un grand fjord du même nom. Nassim a baissé la tête et regardé sa montre japonaise. Comme le DRS en Algérie, le soleil est encore là, pilier d'un jour sans fin qui refuse de devenir demain. - Et ma mère ? Il a dit ça comme s'il parlait à Aleqa. - T'en fait pas, ici on trouve toujours une solution. Sinon on ne serait pas dans ce froid depuis ces milliers d'années. - Tu as raison... - Aqagu, a conclu Aleqa, ce qui veut dire «demain» en inuit. … à suivre