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«Les espaces d'expression politique sont verrouillés» Fatma Boufenik. Enseignante-chercheuse à l'université d'Oran, experte, consultante et militante féministe
Fatma Boufenik est enseignante-chercheuse à l'université d'Oran. Cette experte et consultante, formatrice en analyse des institutions/organisations et du développement, dénonce la promulgation d'une série de textes liberticides, à l'image des lois relatives aux associations et aux réunions et manifestations publiques, et celles encadrant la profession d'avocat. - A l'occasion de la célébration du 51e anniversaire de l'indépendance de l'Algérie, un groupe de citoyennes et citoyens d'Oran, dont vous faites partie, affirme «constater, avec amertume, le grave niveau de dégradation, trahissant les sacrifices des martyrs de la guerre de Libération nationale et le rêve de liberté, de développement et de justice sociale du projet de Novembre.» Pouvez-vous nous en parler ?
L'amer constat que nous faisons est le résultat d'un diagnostic partagé sur une situation de crise structurelle : une crise sociale, politique et économique profonde depuis plusieurs décennies et des fuites en avant qu'adoptent les «décideurs» par des pseudos réformes matérialisées par des lois liberticides, comme la loi n° 12-06 relative aux associations; la loi n°89-28, modifiée et complétée, relative aux réunions et manifestations publiques, la loi sur l'organisation de la profession d'avocat. Des mesures et des dispositifs de colmatage. Par ailleurs, les vécus et ressentis exprimés par les citoyennes et citoyens, les turbulences, les actions de contestation, de revendications et de lutte sont l'expression du malaise et de mal-être des citoyens dans leur quotidien. Quelle que soit la raison et quelle que soit la forme, tout tourne autour d'une question fondamentale : celle du partage inégal des richesses du pays et la dénonciation de la gestion de la rente pétrolière pour l'achat de la paix sociale. «Des clans» ont accaparé les richesses matérielles et immatérielles (histoire du pays, les acquis et les symboles des révolutions Novembre 1954, en passant par Octobre 1988 et aujourd'hui les sacrifices du peuple pour faire échec à l'intégrisme islamiste) de la nation algérienne. Et c'est en réponse à cette situation que depuis quelques années, avec un moment fort lors du 50e anniversaire de l'indépendance, que le groupe de citoyennes et citoyens d'Oran, que nous sommes, avons décidé de nous approprier ce qui nous revient et à commencer par la célébration, avec fierté, de toutes les dates qui symbolisent les luttes pour une Algérie moderne, libre et démocratique. C'est le moins que l'on puisse faire dans un contexte où les espaces d'échange, de concertation et de débat sont sous scellés pour l'expression des forces démocratiques réduites au silence.
- Ce groupe dit «souhaiter que toutes les énergies citoyennes, où qu'elles se trouvent, se mobilisent, s'expriment et convergent pour peser sur les choix actuellement à l'ordre du jour pour une véritable transition de changement démocratique». Quels sont les préalables du changement vers la démocratie ?
Si notre souhait ou appel commence par les préalables à la mobilisation et à l'expression d'une volonté de s'unir pour être une force citoyenne pour le changement démocratique, il est, dès le départ, voué à l'échec. Nous avons d'abord besoin d'échanger nos approches de la situation, de sortir avec un diagnostic, dont le but de mettre en commun ce qui pourra nous rapprocher dans l'immédiat et réfléchir comment nos différences peuvent être perçues comme nos richesses et pourront nous consolider à moyen et long terme, pour peser sur les choix actuellement à l'ordre du jour pour une véritable transition de changement démocratique. La seule condition est d'adhérer à l'idée d'une transition de changement démocratique et pacifique pour une société moderne. Ensuite, la responsabilité historique et patriotique de chaque citoyenne et citoyen, des personnalités, des intellectuels, des universitaires, des cadres dans les institutions de la nation, des collectifs, des associations, des partis politiques, des femmes, des hommes et des jeunes, est engagée. Il ne faut pas attendre une solution miracle ou l'homme ou la femme providentielle pour sortir le pays de cette crise. Chacun de nous a une pierre à poser dans l'élaboration de cet édifice.
- Le RCD vient de revendiquer la nécessité de l'organisation des élections par une commission indépendante en lieu et place du ministère de l'Intérieur. Qu'en pensez-vous ?
Je ne pense pas que l'organisation des élections par une commission indépendante soit suffisante pour une sortie de crise. Ce n'est là, de mon point de vue, qu'une formalité qui a besoin d'être accompagnée de conditions réelles de changement du processus démocratique, par le suffrage universel, par les urnes. Nous avons le devoir de réflexion sur la modalité du suffrage universel par les urnes, sur la base de notre propre expérience et l'expérience actuelle du monde arabe, et en particulier ce qui se passe en Egypte et en Tunisie. Cette question est à l'ordre du jour et c'est l'une des questions prioritaires à laquelle une société en pleine mutation doit répondre pour une vision stratégique partagée. Ce n'est plus une question de SMIG politique.
- A quoi imputez-vous la faiblesse de l'opposition démocratique en Algérie ?
Certes, la mouvance démocratique – et je ne parle pas d'opposition démocratique – est faible. Cette faiblesse est le résultat d'un contexte national et international qui ne lui a pas été et ne lui est toujours pas favorable pour se transformer en opposition démocratique. D'abord les espaces d'exercice, à commencer par l'expression et l'action de la chose politique, n'existent pratiquement pas. Le pouvoir en place les a verrouillés. Cela n'explique pas tout. La culture du zaïmisme (leadership), combinée à des problèmes d'organisation et de logistique, l'a également minée. Par ailleurs, une autre question qui n'est pas propre à ce mouvement, celle de la relève politique et de la reconnaissance des courants dans une mouvance n'est pas étrangère à cette faiblesse des démocrates. La marginalisation des femmes des sphères de décisions et de l'exercice des pouvoirs dont le pouvoir politique s'ajoute, surtout pour les démocrates, pour les discréditer, vu que l'égalité est supposée être l'un des principes fondateurs de la démocratie.
- En Algérie, les femmes sont victimes de discriminations de la part de l'Etat et de la société. En tant que militante féministe, que faut-il faire concrètement pour réparer cette injustice ?
Le mouvement des femmes, et en particulier les associations de femmes, est souvent présenté comme ne proposant rien de concret ou déconnecter des femmes algériennes et de la société. Par ailleurs, quand le contexte le dicte nous sommes présentées comme «les sauveuses du pays». Notre mouvement est mature et prend de l'assurance. Nous avons des propositions concrètes en rapport à notre situation et condition dans la société algérienne, sauf que cela n'est pas suffisant pour nous en sortir et sortir toute la société de la catastrophe. Le changement de la situation des femmes en Algérie ne dépend pas seulement de la volonté des femmes et de leurs actions pour changer leurs conditions. Il faut agir à plusieurs niveaux : l'Etat est le garant des droits de tous les citoyens et des citoyennes. Par sa Constitution et sa ratification aux conventions internationales dont la Cedaw, il doit garantir l'égalité entre les femmes et les hommes et par conséquent il doit abroger toutes les lois qui discriminent les femmes, en premier lieu, le code de la famille. Un code civil égalitaire est possible. Un groupe d'associations a produit un texte alternatif dans ce sens. L'Etat doit mettre en place des mécanismes de lutte contre les comportements et pratiques de discrimination, y compris institutionnels. Un plaidoyer pour une loi-cadre sanctionnant les violences à l'égard des femmes, a été déposé, depuis décembre 2011, sur le bureau de l'APN par un groupe de femmes parlementaires en appui à un collectif associatif. Les institutions étatiques doivent comprendre que «les inégalités et l'injustice nuisent au développement durable» et qu'un travail de partenariat entre associations et les institutions, en particulier locales, est primordial. Il doit passer par une visibilité, une reconnaissance de leurs compétences et le développement d'expertises. Création d'observatoires sur les violences et sur les discriminations de genre comme l'ONDF – Observatoire national des discriminations faites aux femmes — et l'Observatoire de l'emploi féminin. Les stratégies mises en œuvre, les actions menées et les réalisations accomplies, par l'ensemble des acteurs de la société, doivent viser le même but ultime : l'autonomie des femmes pour faire avancer l'égalité dans les lois, les pratiques sociales, les attitudes, les mentalités et les comportements. Un projet de société moderne/démocratique avec un préalable, «l'égalité hommes/femmes» comme valeur centrale de ce projet de société. Les questions de diversité, d'autonomie, d'égalité auraient à gagner par l'approfondissement d'un travail de jonction entre le mouvement des femmes et le mouvement des démocrates et lui donner de l'efficacité en l'inscrivant sur la feuille de route du mouvement pour l'égalité en Algérie. La question de l'égalité devient de plus en plus une question de la société civile, des hommes et des femmes et dans la transmission générationnelle. C'est une question de toute la société, ce n'est pas et ce n'est plus une affaire de femmes. Et c'est à ce titre que la mobilisation des femmes et des hommes pour l'égalité devient la clé de voûte, compte tenu du fait que quand les droits ne sont pas acquis, il faut les conquérir aussi bien sur le plan formel que réel et qu'une fois acquis, il faut la vigilance de toute la société pour les sauvegarder et les promouvoir.