En fin de compte tout le monde a déjeuné sur cette placette, à Tizi Ouzou. D'abord les non-jeûneurs pour provoquer une hystérie, ensuite les jeûneurs pour répondre aux «oukaline ramadhan». Entre les deux, les statisticiens ont fait sortir leurs calculatrices pour jongler avec les chiffres des présents aux deux manifestations. Le compte est bon ! Les jeûneurs sont plus nombreux que les autres. Ouf, ont-ils voulu s'exclamer, comme s'il fallait douter que les chiffres auraient pu être inversés dans un pays qui préserve jalousement ses traditions, quitte à piétiner les libertés des uns et des autres. Par contre, ce qu'il faut retenir de cette «partie-déjeûner», c'est la mobilisation express des gardiens de la religiosité de l'Algérie qui ont démontré que leur présence dans la vie du pays est toujours active, prête à passer à l'action. Il a suffi d'un appel pour que toute la logistique se déploie dans la ville de Tizi Ouzou qui, malgré elle, s'est retrouvée au centre d'un débat qui aurait pu se régler d'une manière beaucoup plus civilisée, loin de la provocation qui risque de connaître des prolongements beaucoup plus dangereux qu'un simple sandwich pris à l'heure du jeûne. S'il ne faut pas être alarmiste, il s'agit par contre d'être vigilant, car de telles actions ont abouti, comme le démontre l'histoire, à une fitna qu'il sera par la suite difficile de circonscrire. Les non-jeûneurs qui revendiquent le droit à la liberté de conscience sont sortis de leur mutisme pour dénoncer la persécution provoquée, faut-il le dire, par la force publique, alors qu'au même moment la force politique s'est abstenue de prendre en charge un problème qui, en fait, n'est pas nouveau en Algérie, si ce n'est que cette fois-ci c'était publiquement que la revendication a été étalée. Cette même force publique a permis aux gardiens de la religiosité de se mettre en évidence et gagner des galons auprès de la majorité de la population qui, bien évidemment, a rejeté cette action que l'on identifie à une provocation extrémiste. «Ouakaline Ramadhan» a toujours existé chez nous, il ne faut pas se cacher de cette vérité, mais n'a jamais pris une telle proportion auprès d'une population qui s'en est toujours démarquée, tant elle a su être tolérante. Mais il est dit qu'en Algérie de ces dernières décennies, il est permis de ne pas faire la Zakat, pour ne pas toucher au porte-monnaie, de ne pas faire la prière, de ne pas partir à La Mecque, mais pas de «Ouakaline Ramadhan» dans un pays où la consommation alimentaire est devenue une priorité économique.