Brillant avocat mais controversé, défenseur de personnages les plus polémiques comme les Khmers rouges, le sanguinaire nazi Klaus Barbie, le mercenaire vénézuélien Carlos ou les ex-présidents ivoirien Laurent Gbagbo et yougoslave Slobodan Milosevic, Jacques Vergès est mort jeudi soir à Paris, d'une cause naturelle, à l'âge de 88 ans. Selon Christian Charrière-Boumazel, président du Conseil national des barreaux (CNB) et ami de l'avocat, Me Vergès était très affaibli ces derniers jours à cause d'une chute. Il marchait très lentement mais avait gardé néanmoins son esprit vif intact. A l'annonce de sa mort, de nombreuses réactions de confrères au sein des barreaux français ont rendu hommage à celui qu'ils considèrent comme un avocat «exceptionnel», «courageux» et «brillant». C'est le cas de maître Georges Kiejman, avocat et ancien ministre sous Mitterrand, qui a toujours considéré Vergès comme son «meilleur ennemi» dans les tribunaux. «Jacques Vergès était un homme fascinant et mystérieux. Sa dimension intellectuelle dépassait le cadre judiciaire. Il faisait partie des deux ou trois avocats extraordinaires de ma génération», a-t-il expliqué. Et d'ajouter : «Pendant la guerre d'Algérie, il a été physiquement très courageux. Il a risqué sa vie en rejoignant le FLN. Ce fut sans doute la période la plus glorieuse de sa vie.» L'incarnation de la rébellion Pour sa part, Me Gilbert Collard qui, entre temps, a quitté les prétoires pour devenir député du Front national, a estimé que Jacques Vergès incarnera toujours «la rébellion». «C'était d'abord et avant tout un rebelle et c'est ce qui a fait son honneur. Il avait d'autant plus d'honneurs que d'ennemis. Il était toujours du côté de la solitude, c'est là où l'on est grand et lui, il fut souvent grand de ce point de vue-là.» Né le 5 mars 1925 en Thaïlande d'un père réunionnais qui était consul et d'une mère vietnamienne, il a fait ses classes de lycée à la Réunion, à côté d'un autre briscard de la politique française, aujourd'hui décédé, Raymond Barre, ancien Premier ministre. Attiré très jeune par la politique et sensible aux injustices qu'il voyait, Jacques Vergès voyage beaucoup, notamment en Europe et au Maghreb. En 1945, il adhère au Parti communiste français et devient un puissant pourfendeur du colonialisme, au Quartier latin à Paris, avec d'autres copains, étudiants à la Sorbonne. Mais c'est en 1957 que son destin va réellement basculer du côté de ceux qui luttent pour leur liberté et leur dignité. Algérien et mari de Djamila Bouhired Appelé d'Alger par le FLN pour défendre l'héroïne Djamila Bouhired, il tombe amoureux de l'Algérie puis de Djamila Bouhired. Elle deviendra plus tard son épouse. Condamné à mort, Jacques Vergès radicalise ses positions vis-à-vis du système colonialiste français. Il dénonce un simulacre de procès, le qualifiant de «meeting pour assassinat». Son courage et son franc-parler lui causeront la suspension du barreau pour un an en 1961. Et si pour l'Etat colonial français, Vergès n'était qu'un traître, pour le FLN, en revanche, c'était un héros. Après l'indépendance de l'Algérie, il deviendra Algérien et sera baptisé «Mansour» (le vainqueur). Mais quelques mois avant la fin de la guerre, il fut envoyé au Maroc où il devint conseiller du ministre chargé des Affaires africaines de l'époque. Défenseur des indéfendables Converti à l'islam après 1962, il devient citoyen d'honneur de la jeune République algérienne naissante. Cependant, si le combat de Jacques Vergès en faveur de l'indépendance algérienne est considéré comme un acte de bravoure et de courage, il n'en est pas de même pour tous les autres personnages qu'il a défendus durant sa vie d'avocat. Ses détracteurs et adversaires lui reprochent d'avoir défendu un criminel nazi, Klaus Barbie, surnommé «le boucher de Lyon», ou encore les Khmers rouges responsables de plusieurs milliers de morts au Cambodge, sans oublier des présidents et dictateurs africains tels que Omar Bongo, Idriss Deby, Denis Sassou-Nguessou ou Laurent Gbagbo. En prenant ainsi la défense de tout ce «beau» monde, Jacques Vergès aurait terni son image auprès de l'opinion publique française et internationale et se serait fait beaucoup d'ennemis dans le monde politique et judiciaire. Sauf que pour l'intéressé lui-même, tout le monde a le droit d'être défendu. «Défendre, ce n'est pas excuser. L'avocat ne juge pas, il ne condamne pas, il n'acquitte pas, il essaye juste de comprendre», a-t-il un jour expliqué, non sans oublier de préciser qu'il aurait même pu «défendre Hitler»…