La société civile se mobilise contre un projet routier qui menace le joyau de leur région, le pont romain d'El Kantara et ses superbes gorges. Ville charnière entre le nord et le sud, El Kantara défie tant bien que mal la désolation et l'aridité qui la cernent. A 30 km de Aïn Touta, la chaîne des Aurès se dresse et ne laisse aucun passage à l'exception de ce lieu où elle semble fendue on ne sait par quel miracle pour offrir la seule voie d'accès au Sud. Les Romains imputent cette déchirure à Hercule et la baptisèrent «Calceus Herculis» (le talon d'Hercule). A peine happé par cette déchirure, le visiteur est frappé par le changement de décor ! L'aridité est soudainement transformée en verdure et la désolation en un site qui respire la vie. A quelques trois ou quatre kilomètres de là, une armada d'engins sont à l'œuvre pour le dédoublement de la RN3, dont l'avancée inexorable suscite la crainte des habitants puisque les travaux menacent le viaduc éponyme de l'oasis. En effet, El Kantara tire son nom du viaduc érigé en l'an 110 par la légion romaine et restauré en 1860 par les hordes du duc de Malokoff, maréchal de France, alors gouverneur d'Algérie. Le sceau de l'empereur Napoléon III y est gravé en plus de son buste sculpté au sommet de la falaise qui surplombe Oued El Haï. Au début de l'année 2013, Ammar Ghoul, ministre des Travaux publics, était venu donner le coup d'envoi au lancement des travaux pour un pont qui passerait au-dessus du viaduc tel que conçu par le bureau d'études Delta Consult Sarl. Les habitants, soutenus par les associations locales, ne se sont pas fait attendre pour mettre leur veto : «Le tracé met à risque l'intégrité de sites naturels, historiques et culturels classés qui doivent être préservés à tout prix.» D'autant que, «la ville est en train de se développer aux antipodes du tracé projeté», ont-ils mentionné dans une pétition à laquelle ont adhéré les habitants et les associations. Résistance Nourdine Chelli, écrivain public de la ville et président de l'Association pour la promotion du tourisme local, qui nous a reçus dans son bureau, nous a fait part de ses craintes en nous expliquant que des solutions existent : «Ledit tracé serait encore plus bénéfique en passant au sud de la ville moyennant le creusement d'un tunnel.» Le ministre des Travaux publics a déjà été saisi à cet effet et n'ignore pas cette proposition à moins qu'il ne tienne à la politique du bulldozer. Les habitants d'El Kantara que nous avons abordés ont exprimé leur colère à l'idée de voir la beauté de leur ville transfigurée par le béton. Il est vrai que ce viaduc doit être coûte que coûte préservé, seulement cela ne doit pas éclipser d'autres sites tels que Eddechra dite «village rouge» qui date de neuf siècles et qui tombe en ruine, ou encore oued El Haï qui irrigue la palmeraie et les vergers en contrebas du village agressé par les eaux usées en provenance de Aïn Touta et de Maâfa. «Avant qu'il ne soit pollué, on s'y baignait», nous a confié El Hadj Begaguech avec beaucoup de nostalgie dans la voix et le regard. Contre cette agression, la nature résiste et fait entrevoir en plus des dattes, les premières figues et les premières grenades.