Avec les assassinats qui ont meurtri notre Eglise, beaucoup d'Algériens ont découvert notre fidélité qu'ils ont regardée comme un signe d'espérance. Ils ont perçu notre différence comme un élément précieux de la résistance commune. Et un bon nombre d'Algériens ont appris à redécouvrir et à entretenir au fond d'eux-mêmes l'idée d'un islam autre, qui n'a pas besoin des enseignements du FIS ou du GIA, et qui respecte la vie et la prière de l'autre pour construire une humanité solidaire. » Ces propos sont de Mgr Teissier, archevêque d'Alger, cité par Martine de Sauto, journaliste à La Croix dans un livre qu'elle lui consacre : Henri Teissier, un évêque en Algérie. De l'Algérie française à la crise islamiste, aux éditions Bayard. L'archevêque d'Alger, à quelques jours de la commémoration du 10e anniversaire de l'assassinat des moines de Tibehirine, a évoqué, devant la presse étrangère accréditée à Paris, avec émotion, mais aussi avec force une « présence chrétienne minoritaire dans une société musulmane », mais qui vit « étroitement avec la société algérienne ». « L'Eglise d'Algérie est toute petite en nombre, mais le Seigneur l'a placée à la charnière des relations entre le Nord et le Sud. « Il nous a mis dans un lieu (Notre-Dame d'Afrique, ndlr) où se font face, depuis des siècles, les hommes et les femmes du monde chrétien et ceux du Maghreb arabo-musulman. » « Nous cherchons à travailler avec la société algérienne essentiellement au plan social, humanitaire. Nous ne voulons pas apparaître comme un groupe qui veut faire du prosélytisme. » « Nous travaillons comme des partenaires engagés avec tous ceux qui veulent de notre engagement. » Mgr Teissier rappelle qu'une douzaine de bibliothèques universitaires, une bibliothèque médicale sont à la disposition d'étudiants francophones et arabophones. Depuis quelques années, l'Eglise soutient la création de stages pour des ingénieurs, afin de favoriser leur entrée dans le monde du travail. « Il y a aussi des initiatives qui partent de la société et pour lesquelles nous sommes sollicités. » « Notre désir serait d'être une Eglise à l'intérieur de la société algérienne. » Et de citer Mgr Duval qui disait que « l'Eglise n'a pas choisi d'être étrangère, mais algérienne ». Puis d'ajouter que « malgré nos origines étrangères, nous sommes une des structures de la société algérienne ». « Il y a des gens qui considèrent que nous sommes de trop, beaucoup d'autres expriment leur volonté de montrer qu'ils ne sont pas de l'islam de l'exclusion. » Et sur les actes terroristes visant la communauté chrétienne, « nous avons eu 19 victimes parmi les religieux, d'autres n'appartenaient pas à l'église. Si la majorité de notre groupe s'est maintenue, c'est parce que nous savions que ces groupuscules (islamistes, ndlr) ne représentaient pas la société algérienne. » Le premier représentant de l'Eglise catholique d'Algérie a dit aussi toute son inquiétude, bien que l'Eglise qu'il dirige ne soit pas concernée, quant aux dispositions pénales de la loi de mars 2006 encadrant l'activité des autres cultes que l'Islam. Henri Teissier rappelle que l'ordonnance présidentielle souligne que « les efforts de prosélytisme sont contraires à la tradition de l'église algérienne ». Cette loi vise, selon lui, l'influence croissante de groupes évangéliques. « La naissance de ces communautés formées de personnes venues de familles musulmanes est un événement qui ne s'est pas produit dans le monde arabo-musulman depuis les origines de l'islam », indique Henri Teissier. « La société algérienne doit savoir que nous ne sommes pas à l'origine de la naissance de ces groupes, mais elle doit aussi comprendre que nous voulons respecter leur droit à l'existence, pourvu que soit évitée l'exploitation des besoins des pauvres ou les faiblesses des jeunes. » (cité par Martine de Sauto). « L'Etat algérien doit faire face à des critiques provenant de la société sur le développement de ces groupes. Il ne faut pas isoler ce développement de l'action de ces groupes dans le monde entier. Ils sont partis, il y a 30 ans, du sud des Etats-Unis, se sont développés en Amérique latine puis en Afrique. La crise de 1992 en Algérie a pu jouer un rôle. Il y a aussi des moyens qui n'existaient pas avant (Internet, TV...). Nous avons demandé à un père dominicain de nous aider à comprendre cette évolution unique dans le monde arabo-musulman. » « Nous regrettons beaucoup qu'il y ait des dispositions pénales dans cette ordonnance donnant une image de relations entre l'Eglise et la société algérienne qui ne reflète pas la réalité. » Sur l'article 4 de la loi du 23 février 2005, l'archevêque d'Alger affirme que « nous sommes conscients de ce que l'histoire nous a légué. La colonisation a été plus dure et plus longue en Algérie qu'au Maroc ou en Tunisie. Il n'y a que le Viêt-Nam qui a connu une situation aussi dure. L'Algérie commémorait le massacre de Sétif au moment où l'Europe célébrait sa libération du nazisme. Nous sommes dans des relations multiples qui expriment une autre vision de l'avenir. Toutes les ambassades européennes en Algérie travaillent dans cette même perspective ».