Dans cet entretien, Meziane Meriane, coordinateur national du syndicat national autonome des professeurs d'enseignement secondaire et technique (SNAPEST) revient sur le problème de la surcharge des classes et ses conséquences sur le cursus des élèves. De même qu'il dénonce les conditions d'octroi de marchés pour la réalisation des infrastructures scolaires. Une procédure marquée selon lui par la corruption. Ce qui engendre des retards de livraison, des réévaluations, etc. et des malfaçons dans les projets. - Les problèmes de la surcharge des classes et du retard dans la réalisation des nouvelles infrastructures scolaires refont surface en cette rentrée scolaire. Comment expliquez-vous la situation ?
La nouveauté avec l'intronisation de la nouvelle réforme du système éducatif en 2003 est que le nombre d'années d'études dans le cycle primaire est de cinq ans au lieu de six ; à la rentrée scolaire de 2008-2009, les deux promotions de l'ancien système et le nouveau arrivent simultanément au collège, cela a créé un cafouillage immense. Quatre ans après, à la rentrée 2012-2013, ces deux promotions arrivent dans les lycées, les élèves étaient entassés à 45 voire 50 élèves par classe, alors que la norme requise est de 25 élèves. Ce qui est étonnant, on dépasse la norme internationale de 80% de surcharge des classes et on trouve cela normal, car depuis belle lurette déjà on fonctionne ainsi. On se pose alors la question : faut-il être à 60 élèves par classe pour tirer la sonnette larme ? Avec la rentrée scolaire 2013-2014, le problème va encore se poser pour les classes de deuxième année des lycées, d'autant plus que la majorité des lycées en retard de réalisation ne sont pas terminés. On nous fait vivre une crise qu'on ne devrait pas connaître, d'autant plus que l'argent existe pour la construction des établissements, mais la politique basée sur une corruption généralisée à tous les secteurs comme mode de fonctionnement en a décidé autrement !
- Qu'en est-il du respect des normes dans la réalisation des écoles par les entrepreneurs selon le Snapest ?
Le service planification du ministère de l'Education, puisqu'on a eu l'occasion de le savoir lors d'une réunion, a fait les calculs des besoins en fonction des statistiques réelles. Malheureusement, au niveau des wilayas, on a accusé énormément de retard dans la réalisation des lycées qui sont en construction depuis 2004 et qui n'ont pas encore été réceptionnés en 2013. Neuf ans de retard, c'est énorme et impardonnable ; malheureusement, aucune enquête n'a été diligentée, aucune sanction n'est tombée. Au final, à la rentrée scolaire 2012-2013, on a enregistré un retard dans la réalisation de 609 lycées répartis à travers notre territoire, alors qu'un lycée de 18 divisions peut être réalisé en 16 mois, voire moins par une entreprise digne de ce nom et qui a les moyens de réalisation.
- Qu'en est-il justement, selon vous, de la passation des marchés publics dans ce secteur ?
Le retard accumulé dans la réalisation des infrastructures scolaires démontre que les passations des marchés sont réalisées sur la base de corruption, de pourcentage à octroyer pour bénéficier du projet de construction ! certains hauts responsables au niveau des wilayas sont d'ailleurs surnommés monsieur 10% ou bien monsieur 5% en fonction de ce qu'ils exigent comme pot-de-vin. Lorsqu'une entreprise qui n'a pas les capacités pour réaliser une maisonnette est sélectionnée pour construire un lycée, comment voulez-vous qu'il n'y ait pas de retard dans la réalisation ? Sincèrement, est-ce que ce n'est pas du sabotage caractérisé et voulu ? Des fois, c'est le critère de «beni-âamisme», de tribalisme, de régionalisme qui l'emporte, le responsable fait venir une entreprise de sa wilaya d'origine et lui octroie le projet dans la wilaya où il est en fonction. Dans certains cas, avec tous les dessous de table distribués, l'entreprise pour s'en sortir accuse du retard dans la réalisation pour exiger par la suite une réévaluation du budget ! Malheureusement, le phénomène de corruption est généralisé et il met en danger l'avenir de toutes les générations futures et son éradication est une urgence salvatrice pour notre économie.
- La gestion financière des infrastructures répond-elle aux normes de transparence ?
On peut tromper l'opinion par l'installation d'une commission d'ouverture des plis des entreprises postulantes pour les projets, mais la réalité on la vit au quotidien. Comme je l'ai signalé, c'est la politique basée sur les dessous de table qui prime. On connaît des entreprises sérieuses qui respectent les normes, qui refusent de donner des pots-de-vin, des dessous de table, eh bien ces entreprises ont mis la clé sous le paillasson ! Lorsque le délai de réalisation n'est pas respecté, lorsqu'une réévaluation est exigée des fois avant le lancement des travaux, peut-on parler de transparence ? vous savez, soit on triche au départ, soit on triche pendant la réalisation, quitte à mettre en danger les élèves et les fonctionnaires en cas de séisme, certains spécialistes censés contrôler les normes de construction, c'est une réalité amère, ferment les yeux sur certaines malfaçons en contrepartie d'un dessous de table bien déterminé ! Leur mode de vie démontre la provenance de leurs moyens ; si des enquêtes sont diligentées, les résultats seront ahurissants !
- On continue de construire de nouvelles cités sans structures d'accompagnement, notamment les écoles...
L'environnement scolaire est un facteur important et prépondérant dans le cursus scolaire d'un enfant. Malheureusement, les constructions de nouvelles villes, en réalité des cités-dortoirs, sont réalisées des fois sans infrastructure scolaire, comme si le taux de natalité en Algérie est congru à zéro ; des fois, en plein milieu d'une année scolaire, on reloge des dizaines de foyers ; on affecte les enfants dont les familles viennent de bénéficier de logements dans les anciennes écoles avoisinantes et ceci engendre des surcharges de classes insupportables. Ceci démontre l'incompétence et le manque de planification de ceux qui sont chargés de la gestion des affaires des citoyens !
- Quel est l'impact sur la scolarisation des élèves et sur les conditions d'enseignement justement ?
L'école est une institution qui détermine le chemin que suit un Etat, soit l'école le propulse vers le progrès soit vers des lendemains incertains et vers l'obscurantisme. Et aucun de nous ne voudrait confier ses enfants à une école qui n'accomplit pas correctement son rôle. Un des facteurs de la baisse alarmante du niveau scolaire s'explique également par le manque d'infrastructures et de moyens pédagogiques facilitant l'apprentissage comme les laboratoires, les bibliothèques scolaires. Les statistiques concernant l'infrastructure actuelle est de 1500 lycées, 4000 CEM (collèges) et 17 500 écoles primaires, soit un total de 23 000 établissements tous cycles confondus. Avec le nombre d'élèves scolarisés qui avoisine les 8 millions actuellement, si on désire avoir 25 élèves par classe, on doit construire davantage, d'autant plus que la réforme entamée en 2003 était basée sur 25 élèves par classe. Avec le retard dans la construction des infrastructures, en entassant les élèves à 40, voire 45 élèves par classe, comment voulez-vous dans ces conditions appliquer une pédagogie différenciée qui s'adapte à chaque enfant ? Comment voulez-vous appliquer une pédagogie de l'aide qui soutient ceux qui en ont réellement besoin ? Comment évaluer de façon continue une classe surchargée ? comment remédier aux dysfonctionnements pédagogiques observés à plus de 45 élèves ? Ajoutez le surmenage occasionné de la surcharge des classes sur les enseignants ainsi que la baisse des rendements, sachant que l'infrastructure de qualité aide les élèves à réussir dans leurs études. Son absence, effectivement, a un impact très négatif sur le cursus de l'enfant.