L'opération censée glorifier l'amour a tourné court. L'initiative des «cadenas de l'amour», initiée samedi dernier au pont de Telemly, a été rattrapée par les complexes de la société algérienne. Après les démonstrations de violence perpétrées sur le pont dans la nuit de lundi à mardi, des islamistes ont occupé les lieux pour décourager les couples récalcitrants. Une banderole a été déployée, portant une inscription coranique : «Dieu ne nous châtie pas pour ce qu'ont fait les plus faibles d'entre nous». Les amoureux ayant accroché un cadenas sont ainsi tombés brutalement de leur nuage. L'un des initiateurs du projet, Idir Tazerout, journaliste à L'Expression, estime que les actes de saccage étaient prévisible, mais il s'étonne du fait que les services de sécurité ne soient pas intervenus. «Même le maire d'Alger qui avait exprimé son soutien à notre action ne répond plus au téléphone», regrette-t-il. Idir Tazerout considère que cette action a permis de rendre visibles deux projets de société qui s'entrechoquent. Le journaliste de L'Expression estime que cette action aura servi à ouvrir un débat sur l'amour en Algérie. «Cela restera un cas d'école pour nos politiques et nos sociologues. L'action aura permis de parler d'amour sans complexe et de démasquer les uns et les autres.» «Si c'était à refaire, nous recommencerons», dit-il. Il est à rappeler que l'idée consistait à transformer le «pont des suicidés», situé au Télemly, sur les hauteurs d'Alger, en un «pont des amoureux». S'inspirant du «pont des arts» en France, ainsi que d'autres répliques dans le monde, ils ont invité les amoureux à y accrocher un cadenas. En plus du maire d'Alger qui a soutenu l'initiative, il y eut des amoureux, mais aussi des personnes qui ont voulu exprimer leur amour pour l'Algérie, pour un enfant ou pour célébrer une amitié qui dure. L'opération, pleine de bons sentiments, suintait la naïveté et l'angélisme. Pour autant, elle ne méritait certainement pas une telle diabolisation. Cela avait débuté avec les discours moralisateurs du prêcheur cathodique d'Ennahar, cheikh Chamseddine, qui qualifiait l'initiative des trois journalistes d'«hérésie». Puis, un dénommé cheikh Abd El Fetah Hamadache Ziraoui, se présentant comme membre du «mouvement de la sahoua des enfants des mosquées d'Alger», affirme être derrière l'acte de déboulonnage des bouts de métal, car ils représentent à ses yeux un «sortilège». Il arbore fièrement son butin dans une vidéo disponible sur le net. Derrière l'anecdote, apparaît une société réactionnaire, allergique à toute manifestation de tendresse, qui se dirige dans le sens de ce que prônent les taliban.