Si Aldous Huxley - auquel la sociologie des industries culturelles doit le chef-d'œuvre de science fiction Se distraire à en mourir - devait venir ces temps-ci vadrouiller dans la société algérienne happée par le marché de la communication, il serait sidéré de voir à quel point son intuition a été suivie de réalités. Y compris dans cette lointaine contrée, en son temps inconnue de la géographie des médias de masse. Entre le slogan populiste d'un opérateur étranger de téléphonie « Que chacun parle », les tas de publireportages sous forme « d'articles » dédiés aux compagnies dans les journaux et le bourdonnement incessant de leurs spots radiotélévisés d'Etat, l'illusion frappante d'aujourd'hui est que la communication sociale est libérée. Par des libérateurs d'un nouveau type, y compris un certain émir Chorafa qui a eu intérêt à ce que le journaliste Benchicou ronge ses méninges en prison. Visitant les coulisses de fabrique des médias audiovisuels gouvernementaux, ENTV et ENRS héritières de la RTA « école de la nation » chère à Ben Bella et à Boumediène qui l'ont bourrée d'un maximum de propagande, Huxley y verrait la métamorphose en appareils toujours propagandistes mais marchands aussi. De 21% des ressources en 1991, la recette publicitaire de l'ENTV est passée à 46% en 2005. Gavant ainsi ses auditoires d'images du « meilleur des mondes » à vivre sur place ; et de reprises de fictions et jeux commandés à tour de bras aux boîtes de copains de Tunis, Paris et Beyrouth. Mais pas aux intacts producteurs algériens décidés toujours à travailler dans le pays et quémandant par une récente association créée quelques commandes de survie au tout puissant boss de la lucarne gouvernementale. Huxley pourrait ainsi aujourd'hui dire aux pères fondateurs : vous avez libéré le territoire et le sous-sol du pays, vos héritiers vendent à l'encan jusqu'à l'imaginaire des habitants. Un placard de pub d'un libérateur de téléphonie affiché ces jours-ci dans nos journaux va jusqu'à comparer la durée de validité de sa carte à celles d'un yaourt et... du passeport algérien. Plus longue que celle du laitage, il la déclare quand même moindre que celle du document de la RADP. Jusqu'à quand ?