«A une époque de technologie avancée le plus grand danger pour les idées, la culture et l'esprit risque davantage de venir d'un ennemi au visage souriant que d'un adversaire inspirant la terreur et la haine» Aldous Huxley (Le meilleur des mondes). Les 7 et 8 juin ont vu la tenue à l'hôtel Sheraton d'un colloque organisé par le Centre El Khabar pour les Etudes Internationales, dédié aux méfaits de la mondialisation. Après un exposé liminaire du directeur d'El Khabar, plusieurs personnalités de renom ont tour à tour donné leur vision de ce que devrait être une mondialisation à visage humain. C'est le cas notamment de Federico Mayor, de Georges Labica. Les débats modérés par Smail Hamdani, ancien chef de gouvernement et président de l'Association des Relations Internationales, ont été d'une haute tenue. On peut regretter qu'il n'ait pas, parmi les conférenciers des partisans du néolibéralisme «articulés» qui viendraient nous convaincre avec arguments à l'appui des «bienfaits méconnus» de la mondialisation, qui auraient échappé à ceux qui en pâtissent On aurait voulu, aussi, entendre l'avis des économistes du «Tiers monde». Leur avis serait d'autant plus pertinent qu'ils parlent des citoyens du monde d'en bas. C'est le cas, notamment, de l'économiste Samir Amin qui n'est pas à présenter ou de l'Indien Amartya Sen, prix Nobel d'économie 1998. Qu'est-ce que la mondialisation? Percy Barnevick, ancien président de la multinationale ABB, la définit de la façon suivante: «La mondialisation, c'est la liberté pour mon groupe, d'investir où il veut, le temps qu'il veut, pour produire ce qu'il veut, en achetant et en vendant où il veut, et en ayant à supporter le moins de contraintes possibles en matière de droit du travail et de conventions sociales». Ces phrases ont le mérite d'être claires et nous renseignent sur la vraie réalité du visage du néolibéralisme. Beaucoup d'intellectuels des pays développés s'accordent à dire que l'ambition discrète de la mondialisation, c'est la destruction du collectif et l'appropriation par le marché et le privé des sphères publique et sociale, dans le but de construire une société où l'individu sera enfin privatisé et où s'épanouira l'hyperbourgeoisie naissante. Pour contrecarrer un tel projet, un embryon de société civile internationale se met en place surtout dans les pays industrialisés. Une grande privatisation de tout ce qui touche à la vie et à la nature se prépare, favorisant l'apparition d'un pouvoir probablement plus absolu que tout ce qu'on a pu connaître dans l'histoire. Tandis que de nouveaux et séduisants «opiums des masses» proposent une sorte de «meilleur des mondes» et distraient les citoyens. C'est le cas à titre d'exemple des ravages de l'Internet, dont l'accès débridé tend à pervertir les comportements surtout des plus vulnérables parmi les jeunes.(1) L'ultralibéralisme Cette nouvelle emprise planétaire est apparemment partie pour durer. Viviane Forrester a raison d'écrire que «nous ne vivons pas sous l'emprise fatale de la mondialisation, mais sous le joug d'un régime politique unique et planétaire, l'ultralibéralisme, qui gère la mondialisation et l'exploite au détriment du plus grand nombre, cette dictature sans dictateur, n'aspire pas à prendre le pouvoir mais à avoir tout pouvoir sur ceux qui le détiennent... Nous pouvons résister à cette étrange dictature qui exclut un nombre toujours croissant d'entre nous, mais garde, et c'est la le piège et surtout notre chance, des formes démocratiques». Pour une société donnée, le monde est une construction culturelle qui varie selon les époques et les moyens de transport disponibles. Aujourd'hui, la mondialisation est le produit de l'activité scientifique. Ceci à des degrés divers n'a pas varié. Souvenons-nous de l'apport culturel, scientifique, philosophique et économique apporté par la civilisation musulmane héritière de la civilisation grecque qu'elle a su valoriser et transmettre à une Europe plongée dans les ténèbres du Moyen Âge. Souvenons-nous du commerce florissant :les fameuses «routes de la soie» induites par les «routes de la foi» musulmanes en Orient et en Extrême-Orient. Le monde contemporain de la civilisation islamique, aussi bien en Orient (Baghdad) qu'en Occident (Cordoue et Grenade), joua donc, un rôle majeur dans le développement de «la mondialisation des biens des marchandises». Souvenons-nous du commerce qui se faisait à l'époque avec l'Inde et la Chine pour ramener des épices et de la soie. Souvenons-nous aussi de la route de l'or en Afrique noire vers la ville de Tlemcen, le port de Honaïn, d'Oran et enfin vers l'Europe. Ce fut, contrairement à ce qui se passe de nos jours, la libre circulation des hommes et des idées. On sait par exemple, qu'Ibn Khaldoun, infatigable voyageur, allait s'instruire, faire des séjours «sabbatiques» comme celui qu'il fit près de Tiaret (il y aurait conçu son oeuvre majeure: La Muqqadima). A cette époque, l'Europe était encore plongée dans la nuit noire de l'Inquisition et du féodalisme. Ainsi, le monde du Christianisme de l'an 1500 pensait que trois continents (Europe, Afrique, Asie) constituaient l'Univers vivant et que Rome en était le centre autour duquel tournait le Soleil. L'éveil se fit dans les soifs inextinguibles de conquête de l'Espagne et du Portugal vers le nouveau monde. Naturellement le monde occidental mit à profit l'héritage de la civilisation musulmane pour prendre son essor. L'Occident ayant définitivement réduit l'influence de l'Eglise, alla à la conquête du monde, c'est de là, qu'au nom du Christianisme et du commerce, que commencèrent les génocides dans le nouveau monde. Devant cet unanimisme contre les plus faibles, seul un religieux comme Bartolomeo de las Casas, prenant le contre-pied de l'état d'esprit en vigueur, n'arrêta pas de dénoncer ces crimes contre l'humanité, en vain. L'Occident s'érigea graduellement en seul dépositaire de la production de sens. Par la suite, ce fut le tour de l'Afrique à connaître le sort des Aztèques et des Incas. De plus, des millions d'Africains furent déportés définitivement vers les Amériques dans les pires conditions Ce fut le pire commerce du «bois d'ébène». L'esclavage devait être aboli officiellement, dans les textes et pas dans les mentalités, au milieu du XIXe siècle. Ainsi, dans un pays comme la France ce ne fut qu'en 1848 soit plus de cinquante ans après la «Déclaration des droits de l'homme et du citoyen», de 1789 et qui énonce en préambule: «Tous les hommes naissent et vivent égaux en droits». Il est vrai que les esclaves n'étaient pas des Français même après les invasions coloniales... Le comédien français Dieudonné, pour avoir tenté d'exhumer ce dossier des innombrables shoahs subies par les communautés noires, pendant plus de trois siècles, fut mis en quarantaine- interdit d'expression- du fait du battage médiatique efficace de certains intellectuels communautaristes en France qui se sentent d'abord Israéliens avant de se sentir citoyens français, s'érigeant ainsi, en seuls dépositaires en viager ad vitam eternam de la souffrance humaine. Plus tard, le XIXe siècle vit le partage colonial du monde entre les différents pays européens. L'Angleterre victorienne et la France furent en première ligne dans la rapine. Pratiquement tous les pays en développement actuels ont subi un colonialisme abject qui s'est traduit, notamment par le vol organisé des matières premières, ne permettant pas à ces pays de développer les rares industries qui furent dépendantes des métropoles. La doctrine de «menschmaterial» dénoncée, s'agissant de l'Allemagne, fut mise en pratique: les colonisés constituaient prioritairement les premières lignes des guerres occidentales. La dernière période de la colonisation qui n'a jamais en réalité cessé, est celle de plus en plus visible du vol de la matière grise des PVD, c'est le fameux body-shopping (achat de corps, version moderne du commerce du bois d'ébène): les milliers de cadres que ces pays ont eu tant de mal à former au prix de sacrifice (60 00 à 80 00 $ selon l'Unesco), s'enfuient pour diverses raisons, la principale c'est qu'on ne leur offre aucune opportunité. S'agissant d'un pays comme l'Algérie, la perte de diplômé(e)s, par suite d'une émigration, est de plus en plus problématique; on ne peut pas retenir un diplômé du supérieur en lui proposant un CDD à 100 euros à 800 km de l'Europe.(2). Le monde après la Seconde Guerre mondiale Profondément meurtri, les pays occidentaux, pour l'essentiel, ont décidé de mettre en place un cadre visant à conjurer définitivement le spectre de la guerre. A la place de la défunte Société des nations fut mise en place à San Fransico, en août 1945, la Charte des Nations unies. Plusieurs personnalités éminentes nous dit Federico Mayor contribuèrent à la rédaction. C'est le cas notamment du Mahatma «La grande âme» Ghandi, qui pour l'occasion, demanda conseil, dit-il, à sa mère analphabète, mais dont le bon sens était, souverainement pertinent. «Nous les peuples...» était-il écrit en préambule de la Charte, soixante ans après s'interroge Federico Mayor que reste-t-il, le G7 ou le G8, (le sommet des pays les plus riches) a substitué à l'universel les lois du marché. Tout tourne autour de la démocratie, le citoyen doit être convaincu qu'il compte et non pas qu'il est compté. Dans le monde actuel, je crois à la globalité plutôt qu'à la globalisation. Il faut avoir un regard d'ensemble sur la diversité des hommes et des cultures et non pas tendre vers l'uniformité. Il faut réveiller en l'homme, l'invention, l'inattendu. Notre espoir est que l'impossible d'aujourd'hui soit le possible de demain. «Si c'est impossible, cela m'intéresse», avait coutume de dire Jean Yves Cousteau. Graduellement, d'autres organisations furent mises en place, c'est le cas, de la FAO, l'Unicef. La principale mission,, de l'Unesco, pense Federico Mayor fut de bâtir la paix par l'éducation ; partant du fait que la guerre prend sa naissance dans l'esprit des hommes, c'est là qu'il faut intervenir. Les quatre principes mis en oeuvre sont la justice, la liberté, l'égalité et la solidarité. Ces paramètres mis ensemble aboutissent à la démocratie. Cinquante ans après que reste-t-il de ces voeux généreux et pieux? Comment peut-on parler de solidarité quand les plus grands alliés de ces donneurs de leçons que sont devenus les pays occidentaux, sont des dirigeants qui sont aux antipodes de la vraie démocratie. De plus, Ce n'est pas en jetant de temps à autre des miettes comme l'APD à 0,7% que les pays occidentaux héritiers des négriers puis des colons, responsables à des degrés divers du malheur des PVD, peuvent avoir la conscience nette et parler d'un solde de tout compte pour tous les malheurs qu'ils ont provoqués et qu'ils ont durablement semés? Le professeur Georges Labica, autre intervenant de marque, faisait remarquer à juste titre que les Etats-Unis viennent de porter leur aide à près de 700 millions de dollars sous réserve d'une bonne gouvernance, il faut entendre par là, un désarmement économique et un abandon du social, laissant aux multinationales le soin de mettre en coupe réglée le pays. En clair c'est «la liberté du renard dans le poulailler». Cette offre généreuse représente 0,16% du budget de la défense évalué à 400 milliards de dollars soit l'équivalent de 20 budgets des pays de l'Ocde pour les Etats-Unis. Qu'il nous suffise de savoir que le budget de la publicité aux Etats-Unis était de 200 milliards de $ en 2000, il suffit de 40 milliards de dollars pour éradiquer la pauvreté dans le monde!!! sans pour autant accueillir toute la misère du monde selon la phrase sans concession, énoncée il est vrai dans un autre contexte, par Michel Rocard un autre intervenant de ce colloque qui demande aux pays du Sud de sortir des rêves...Eux qui vivent le cauchemar au quotidien. On nous parle de flexibilité d'adaptation, dans la réalité, on demande aux PVD d'être dociles et d'accepter d'être des marchés tant qu'ils ont des euros ou des dollars pour payer. Sinon, il faut accepter l'ajustement structurel, en clair, il faut passer sous les griffes caudines du FMI et de la Banque mondiale qui nous demandent de casser nos défenses immunitaires, par exemple en abdiquant notre souveraineté sur les ressources énergétiques. Margaret Thatcher avait coutume de dire: «Je ne connais pas le citoyen je connais le consommateur». Cette profession de foi résume, à elle seule, le fondement de la mondialisation. Les idées généreuses de l'humaniste Federico Mayor, sur un monde meilleur, nous incitent à le suivre sans restriction. Il nous livre avec passion, sa vision de l'éducation seul rempart contre l'ignorance, la manipulation des mentalités et en définitive la seule voie menant à la démocratie. Ecoutons le: «La culture, c'est notre comportement quotidien, c'est ce que nous aimons ou rejetons. L'éducation, c'est d'abord la mère, le père ensuite l'école. L'éducation, ce n'est pas recevoir de l'information, c'est avoir une souveraineté personnelle et critique, la première souveraineté c'est le droit à l'autonomie de réflexion. Il faut avoir une grille de lecture pour convertir l'information en connaissance. Il doit y avoir aussi une permanente tension humaine sur les questions essentielles qui doivent être élaborées et non imposées». «Il faut aller vers une mondialisation dirigée par des valeurs démocratiques pour que chaque être humain soit acteur et non pas spectateur de son propre destin, du fait d'une information manipulée. Cette information ne doit être ni partielle ni partiale. Une chose est écrite, une autre est décrite. A la culture de l'épée, il faut substituer la culture de la paix. Il ne doit plus y avoir de silence au XXIe siècle. On ne peut pas transformer la réalité si on ne la connaît pas en profondeur. Il faut rétablir les valeurs et les principes. Nous devons revenir aux objectifs du Millénaire pourtant signés par la majorité des chefs d'Etat. Si tel était le cas, l'éradication de la misère, des maladies, de l'analphabétisme serait une réalité. Nous pourrons, alors, regarder nos enfants sans rougir car par la culture et le dialogue, nous pourrons laisser une page blanche qui permettra un nouveau destin pour le monde». Il faut espérer que les deux ministères de l'Education et de l'Enseignement supérieur prendront acte de cette profession de foi d'un éminent professeur de biochimie, d'un prestigieux directeur général de l'Unesco, pour en faire leur bréviaire quand il s'agira de s'attaquer au défi du recyclage des enseignants à qui nous allons confier d'une certaine façon, le destin de l'Algérie, celui de former les cadres de demain quand la rente ne sera plus là. (1) La mondialisation: l'espérance ou le chaos? Editions Anep.2002 (2) La nouvelle immigration : entre errance et body-shopping. Editions Enag. 2004.