Le procès prévu à huis clos suscite de lourdes interrogations en raison des nombreux vices de forme relevés par la défense et la famille du principal accusé… Après 29 mois d'instruction, l'auteur présumé de l'assassinat du professeur Ahmed Kerroumi sera déféré, aujourd'hui, devant le tribunal criminel près la cour d'Oran. Avant même qu'il ne s'ouvre, le procès prévu à huis clos suscite de lourdes interrogations en raison des nombreux vices de forme relevés par la défense et la famille du principal accusé… La disparition du professeur Ahmed Kerroumi, en cette journée du 19 avril 2011, avait fait la une de toute la presse nationale. La découverte de son corps inanimé quatre jours plus tard avait bouleversé la famille universitaire à laquelle il appartenait, ses proches et ses camarades au sein du Mouvement démocratique et social (MDS), parti pour lequel il militait, et a suscité la réaction du rapporteur spécial des Nations unies pour la liberté d'expression, avec lequel, il a eu un entretien quatre jours avant qu'il ne donne plus signe de vie. Moins d'un mois plus tard, les services de police annonçaient l'arrestation de l'auteur présumé, Mohamed Belbouri, un jeune âgé de 28 ans, employé dans une entreprise de distribution d'une boisson énergisante. Son père réfute la version de la police, en raison, dit-il, des nombreux vices de forme qui entachent la procédure. Il revient sur la genèse de l'affaire. Le père refute la version de la police Le 5 mai 2011, il reçoit à son domicile, «en guise de convocation de la police, un vulgaire bout de papier sans nom ni adresse me demandant de me présenter au commissariat». Il se présente le lendemain, pour «subir un interrogatoire de trois heures», au cours duquel les policiers lui affirmaient qu'ils avaient trouvé son numéro de téléphone parmi les appels reçus par la victime. «J'ai répondu : ‘‘Appelez-moi à ce numéro qui soi-disant est le mien'', ce qui n'a pas été fait.» «Le 4 mai, un officier de la police judiciaire m'a contacté pour me demander quel était mon lien de parenté avec Mohamed Abdelkader Belbouri. Je lui ai répondu qu'il s'agissait de mon fils. Ce même officier m'a alors prié de dire à mon fils de se présenter au commissariat central de la police. En l'absence de convocation écrite, j'ai refusé. Il m'a proposé de venir lui rendre visite à mon domicile. Quand il s'est présenté chez moi, il m'a informé que la police recherchait une personne qui avait un numéro de cellulaire commençant par les six premiers chiffres suivants : 077122. Effectivement, ce sont les 6 premiers numéros du portable de mon fils. J'ai dit à l'officier qu'il devait connaître le numéro entier. Il me répondit qu'il ne s'en souvenait plus et qu'il n'avait retenu que les six premiers chiffres parce qu'ils coïncidaient avec son numéro personnel. Mon fils, avec toute l'innocence de la jeunesse confiante, lui a communiqué son numéro entier et c'est alors que le cauchemar a commencé. En possédant le numéro de téléphone intégral, le bouc émissaire était tout désigné. Le 8 mai, mon fils a été convoqué par la police. Il a subi un prélèvement de salive, et s'est vu confisquer sa carte d'identité et son téléphone. Les policiers me contactent pour me demander de venir récupérer les affaires de mon fils au commissariat central le jeudi 12 mai, à partir de 16h (c'est le début de la permanence du week-end en Algérie). J'ai su que mon fils avait été arrêté, dans la violation totale de ses droits, et mis en garde à vue du 12 au 17 mai, date de sa présentation devant le procureur de la République, puis transféré à la maison d'arrêt d'Oran dans un état déplorable : avec des blessures à la jambe, non mentionnées sur le registre de l'infirmerie de la prison par le médecin qui a constaté son état (certificat médical à l'appui) et restées sans soin. Les motifs de son inculpation : assassinat, guet-apens et vol de véhicule qui à ce jour reste introuvable.» D'après M. Belbouri, ces «violations» de la procédure se «poursuivirent» même chez le juge d'instruction et les 29 mois, que dura l'instruction, entachés par une série de violations de la procédure. Il évoque les «nombreux» alibis de son fils que le juge a refusés de prendre en compte. Le premier alibi, dit-il, est lié à l'emploi du temps de Mohamed entre le 19 avril, date de la disparition du défunt, et le 23 du même mois, lorsque son corps inanimé a été retrouvé, vers 13h, à l'intérieur du bureau du MDS à Oran. «Cet emploi du temps a été refusé par les services de police. Plus grave, ils ont fait disparaître les factures des livraisons opérées par mon fils qui constituaient les preuves de tous les itinéraires qu'il avaient pris durant cette période», révèle M. Belbouri. Selon lui, durant l'enquête, les policiers ont affirmé avoir trouvé sur les lieux du crime un journal datant de 1995, sur lequel les empreintes digitales de son fils avaient été prélevées. «Nous n'avons cessé de demander au juge d'instruction de les contre-expertiser afin de s'assurer qu'il s'agit bien des empreintes de mon fils. Malheureusement cette demande a été refusée. Il en est de même pour ma demande d'une contre-expertise du sang, supposé être celui de mon fils, retrouvé par les policiers sur une serviette récupérée sur le lieu du crime… », note M. Belbouri. D'après lui, son fils avait fait une chute de moto le 24 avril 2011 à 8h30. Elle lui a causé des blessures au menton et à la main, «il a été soigné à la polyclinique de la Cave Gué». Dès son admission, il a été inscrit sur le registre. L'établissement, faut-il le préciser, est équipé d'un système de vidéosurveillance qui enregistre, quotidiennement, tout ce qui se passe dans la salle de soins. «L'enregistrement a été visualisé par les services de police avant d'être tout simplement effacé. Plus grave, le registre d'admission montre une tentative de falsification de l'enregistrement du nom de mon fils.» Apporter une réponse aux questions Poursuivant son récit, M. Belbouri déclare que les journaux des appels téléphoniques avec géo localisation de la victime et de son fils, qu'il a réclamés et récupérés sur commission rogatoire, comportent de nombreuses anomalies. Il explique : «Ces journaux ne sont pas des originaux, mes feuilles ne sont pas paginées et ne contiennent aucune griffe ni aucun cachet officiel de l'opérateur téléphonique. Le journal téléphonique de réception de la victime contient un vide entre 12h01 et 20h46 le 19 avril 2011, alors que son épouse ainsi que ses amis déclarent n'avoir pas arrêté de lui téléphoner à partir de 16h, moment de sa disparition, jusqu'au lendemain, propos relatés par le rapport de police précisant que durant ces appels, le téléphone du professeur Kerroumi sonnait. Ce qui prouve que l'appareil n'était pas éteint. Afin de compléter ce vide de 12h01 à 20h46, il a été demandé au juge d'instruction que les journaux téléphoniques des appels reçus par la victime de la part de son épouse et de trois de ses amis soient produits, ce qui a été refusé.» M. Belbouri souligne en outre que le rapport d'autopsie (effectuée sur le corps du défunt) est incomplet étant donné que le moment approximatif de la mort n'y est pas mentionné. La tache verte au niveau du bassin apparaissant en général au bout de 72 heures y est signalée, ainsi que l'état de décomposition avancée du corps. Or, d'après le témoignage de ses camarades du parti, qui ont découvert le corps, le samedi 23 avril vers 13h dans leur local, aucune odeur de putréfaction ne s'en dégageait. Abstraction faite sur le fond du dossier (c'est-à-dire si Mohamed Belbouri est innocent ou pas), ces indices sont-ils susceptibles de prouver que l'enquête judiciaire sur cet assassinat a été bâclée ? Et dans quel but ? Nous n'en savons rien. Le procès qui s'ouvre aujourd'hui pourrait, peut-être, apporter une réponse afin que la vérité sur l'assassinat de ce militant des droits de l'homme soit faite.