Jeudi 28 avril 2011 Avec l'intervention directe du rapporteur des Nations-Unis Frank La Rue, qui l'avait rencontré quelques jours avant sa disparition, l'assassinat du professeur Ahmed Kerroumi prend une nouvelle dimension. Le responsable onusien a longtemps réfléchit et beaucoup consulter avant de décider de réagir, puis, une fois cette décision prise, a du peser chaque mot de son communiqué. « Son meurtre est tragique et totalement inacceptable » écrit M. La Rue avant d'ajouter, « selon les informations que j'ai reçues, M. Kerroumi aurait reçu plusieurs blessures à la tête, ce qui me porte à croire que cet acte est arbitraire ». « J'ai également reçu des informations selon lesquelles un véhicule avec quatre hommes à son bord est resté garé devant le bureau de M. Kerroumi pendant quatre jours avant le meurtre. La voiture ne serait plus réapparue depuis. ». L'expert onusien tient aussi à rappeler qu'il avait insisté auprès des autorités algériennes « sur la liberté absolue de pouvoir effectuer toute rencontre que j'estimais nécessaire et j'avais demandé une protection totale de l'Etat pour tous ceux et toutes celles que j'avais rencontrés durant ma visite, spécialement après la fin de ma mission ». M. Frank La Rue qui suit l'évolution de l'enquête à de quoi être inquiet. Plusieurs jours après la découverte du corps de M. Kerroumi, les autorités algériennes tant politiques que judiciaires n'ont toujours pas réagit, ni pour condamner ni pour informer l'opinion sur les causes réelles de l'assassinat ou l'avancement des investigations. Il appelle donc le Gouvernement à mener « l'enquête la plus détaillée et indépendante qui soit sur ce meurtre tragique afin de traduire ses auteurs en justice ». Une telle action, dit-il « doit être couplée à une indispensable condamnation publique de la part du Gouvernement pour garantir que cet acte odieux n'aura pas d'effet dissuasif sur la liberté d'expression dans tout le pays ». Il faut dire que le flou entoure cette affaire dès le départ. D'abord la lenteur de la police à prendre en charge les recherches après la disparition d'Ahmed kerroumi et le refus obstiné de localiser son téléphone portable, qui continuera à sonner pendant plus de 48 heures, malgré les demandes insistantes de ses amis, de sa famille et de la LADDH, la ligue algérienne pour la défense des droits de l'homme à travers un communiqué officiel. Ensuite, le refus de délivrer à son épouse l'avis de disparition. Elle a été obligé de faire une déclaration à la presse pour dénoncer ce refus, ce qui selon nos informations, lui a valu la visite de policiers exigeant d'elle un démenti, qu'elle ne fera pas. Elle obtiendra finalement l'avis de disparition. Enfin, lorsque la famille et les amis ont voulu entamer une opération d'affichage d'un avis de disparition dans la ville d'Oran pour espérer collecter d'éventuels témoignages, les services de police les en ont empêché. Silence officiel et « Versions téléguidées » Quelques heures après la découverte du corps, dans les locaux du MDS, et face au mutisme des autorités sur les causes du décès, c'est encore l'épouse qui annoncera à Radio Kalima, qu'il ne s'agissait pas d'un accident mais que son époux avait bel et bien été assassiné et que son corps comportait de nombreuses blessures. Commence alors à apparaître des informations aussi suspectes que sordides. Le lendemain, alors que la dépouille du défunt n'a pas encore été rendue à sa famille un site d'information en ligne, s'est empressé de « révéler » que le meurtrier aurait été identifié, qu'il serait une « connaissance intime » de la victime et que le mobile du crime n'était autre que le vol de sa voiture. Le lendemain, le quotidien arabophone « Ennahar », notoirement connu pour être très proche des services de sécurité livrera une autre version. Dans son édition du 25 avril, le quotidien, commence par démentir les propos de Mme Kerroumi concernant les multiples blessures et, va encore plus loin, en évoquant la présence d'un préservatif utilisé, dans le local ou a été découvert le corps. Cette « information » outre qu'elle oriente les regards vers une autre piste, en accréditant la thèse d'une affaire de mœurs, salit la mémoire du défunt. A l'inverse, le quotidien francophone « Liberté » qui dit avoir eu accès à des sources médicales au CHU d'Oran, confirme les informations de la famille du défunt sur les blessures. « Les blessures apparentes sur la tête, au-dessus des sourcils, sur la joue droite, ainsi que sur la nuque dénotent, écrit-il, “d'une résistance que la victime aurait opposée à son agresseur”. Pour ce quotidien la thèse de « l'homicide volontaire avec préméditation » semble retenir l'attention eu égard aux premiers résultats de l'expertise médicale légale. « En clair » ajoute la source médicale au quotidien « une lutte sans merci aurait été engagée entre la victime et son meurtrier « qui tenait à ce que la victime se taise ». Il existe cependant un élément sur lequel tous sont d'accord : le véhicule du professeur Kerroumi, une Peugeot 206 noire, n'a toujours pas été retrouvé à ce jour. Ahmed Kerroumi : « le DRS est un service parallèle » Ces informations de presse ont finit par pousser la CNCD d'Oran, dont le défunt était un membre très actif, à sortir de son silence. Au cours d'une conférence de presse, les membres de la CNCD-Oran ont appelé le procureur de la République à apporter les réponses aux questions restées en suspens et couper court aux supputations entourant les circonstances de la mort d'Ahmed Keroumi. Pour M. Kaddour Chouicha, l'un des porte-paroles, le silence des autorités judiciaires et les informations distillées aux « journaux qui pêchent en eau trouble donnent la nette impression qu'un scénario est en train de se concocter afin de préparer l'opinion publique». La CNDC affiche donc publiquement ses craintes des « conclusions officielles à venir ». Lors de sa visite en Algérie, le rapporteur de l'ONU, M. Frank, La Rue, a rencontré le professeur Ahmed Kerroumi, lors d'une réunion, le 15 avril à Oran. Selon des informations obtenues par radio Kalima, de sources onusiennes, lors de cette réunion, à laquelle ont également participé, M.kaddour Chouicha, représentant la Ligue Algérienne pour la défense des Droits de l'Homme ( LADDH) et Dalila Touat, la militante des droits des chômeurs qui vient d'être acquittée suite à un procès pour distribution de tracts, le professeur Ahmed Kerroumi a abordé le rôle de la police politique. Citant le DRS ( le département du Renseignement et de la Sécurité), le défunt l'a qualifié, devant l'émissaire onusien, de « service parallèle qui ne défend pas les intérêts du peuple, mais défend d'autres intérêts ». Alors, incompétence généralisée propre aux régimes autoritaires où l'indépendance de la justice n'existe pas, ou écran de fumée pour camoufler une éventuelle « bavure »? Le rapporteur de l'ONU a conclu son communiqué en annonçant : « Je suivrai de près tous les développements relatifs à ce cas ». Nous aussi. Yahia Bounouar Lectures: