A Alger et dans toutes les villes, la guerre des espaces publics fait rage. Les administrations ne donnentpas le bon exemple. La privatisation de ces lieux est vécue comme une humiliation porteuse de violence. Alger. Incapables de conduire une politique républicaine pour décongestionner l'espace urbain, les administrations élargissent insidieusement leurs domaines de stationnement par la politique du fait accompli. Dans la capitale et dans de nombreuses villes du pays, l'espace public fait l'objet d'une chasse à outrance. Les services de l'Etat ne se gênent pas pour violer les lois et déploient la stratégie de territoires occupés. Ces mesures humiliantes participent à creuser l'écart avec les citoyens. Tous les jours des rues, des trottoirs ou des arcades sont subitement fermés aux piétons sur la base de mesures discriminatoires, illégales et en violation avec le simple respect des personnes. C'est le maintien illégal des avantages de l'état d'urgence, levée depuis le 24 février 2011. Pour un riverain de la rue de la Liberté, «il y a des choses qu'il ne faut pas prendre à la légère. Cette conduite contraire à l'Etat de droit est humiliante et s'enracine dans le sentiment de toute puissance et le mépris des citoyens. Elle porte les germes de la violence.» «Je prends la rue, tu prends les arcades» Dans Alger, tous les services se servent sans vergogne ; douanes, ministères, commissariats de police et même la fac centrale qui ferme la route.En l'absence de toute résistance, les serviteurs de l'Etat redessinent le Cadastre à leur profit en s'autoproclamant propriétaires d'une rue ou de tout un trottoir. Faire main basse sur la ville a commencé bien avant l'année 1995 qui a inauguré les 19 ans d'état d'urgence. L'expansion et la visibilité d'hommes armés se fait sous prétexte de sécurité. Et pourtant, il y a bien des lieux sensibles dans Alger où ces mesures ne sont pas déployées. A commencer par le Palais du peuple. Le tribunal, aussi gourmand que tous, a carrément réquisitionné tout ce qui entoure le bâtiment. Les arcades sont fermées aux passants. De plus, des barrières métalliques érigées à demeure coupent la rue Abane Ramdane dans sa largeur au mépris de la sécurité des piétons. Chaque parcelle prise devient un parking sous surveillance policière. Et dans le sillage des services officiels, de nombreux commerces foncent sur le butin et redessinent la cartographie locale à leur profit. Le phénomène touche particulièrement les axes Ben M'hidi et Didouche Mourad où les piétons circulent avec beaucoup de peine au milieu des nouvelles terrasses de café. Au dernier maillon de la chaîne, il y a les petits vendeurs à la sauvette. Les plages interdites Autrefois, des plages comme Palm-Beach et Castiglione, aujourd'hui Bou Ismaïl, étaient interdites aux Algériens. Ce n'est pas une légende urbaine puisque le préfet d'Alger, Maxime Roux, dans une note datée du 11 août 1951 adressée aux maires d'arrondissement, confirme l'existence de cette mesure et rappelle : «Le gouverneur général m'a prié de vous rappeler qu'il serait inopportun, et d'ailleurs illégal comme contraire à l'art. 2 du statut de l'Algérie qu'une discrimination raciale soit établie parmi la population, dans la réglementation de l'accès aux plages et piscines municipales…» (Alger ; agrégat ou cité P. 339 Farouk Benatia SNED). Aujourd'hui, il n'y a pas de discrimination raciale. Il y a plus grave, la séparation des classes sociales et des fortunes. C'est ce qui justifie le contrôle de la gendarmerie à l'entrée des zones vertes à l'irakienne et le refoulement pur et simple des gens non munis de laisser-passer. Ce détail, lourd de sens, confirme la rupture avec le projet de nation élaboré par les pères fondateurs de la Révolution. De l'indépendance aux années sombres de la terreur, des générations d'Algériens ont connu le Club des Pins et les plages annexes. La page est tournée désormais avec un Etat qui a choisi son camp, ne sachant plus exercer sa fonction d'arbitrage ni assurer la justice et l'équité.