Lorsqu'en 2007, l'Amisom, acronyme de l'anglais African Union Mission in Somalia, une mission régionale de maintien de la paix mise sur pied par l'Union africaine pour tenter de mettre un peu d'ordre dans le chaos somalien, commence à déployer ses hommes dans la banlieue de Mogadiscio après avoir sécurisé le port et l'aéroport de la ville, personne ne voulait miser sur elle un kopeck. Mombasa (Kenya). De notre envoyé spécial Pour la majorité des experts la corne de l'Afrique, l'équation était simple : Si les GI's de l'armée américaine se sont cassés les dents en Somalie, personne ne pouvait plus rien pour cet Etat qui failli devenir avec le temps l'eldorado d'Al Qaïda et de son pendant local, les shebab. Qui ne se souvient pas, en effet, de l'opération «Restore Hope» (rendre l'espoir) lancée en décembre 1992 par les Etats-Unis sous le mandat de l'ONU et qui était supposée libérer les Somaliens en clin d'œil. Il s'agissait de la première intervention menée au nom du droit international d'ingérence humanitaire. Et bien que soutenue par l'ensemble de la communauté internationale, celle-ci fut un immense fiasco. Patent, l'échec fut symbolisé surtout par la bataille de Mogadiscio en octobre 1993 au cours de laquelle 19 soldats américains furent tués, ainsi qu'un Casque bleu malaisien et près d'un millier de Somaliens. Tout le monde garde encore en mémoire les scènes retransmises en live par les télévisions du monde entier montrant des seigneurs de la guerre locaux en train de brandir les corps inertes de Marines comme des trophées de guerre. Pressé par une opinion américaine traumatisée, le président Bill Clinton n'avait alors pas trop le choix : il décide illico presto de retirer ses troupes. Dans l'urgence, 8 000 Casques bleus de l'ONU prennent le relais. Ils y resteront jusqu'en 1995. 151 d'entre eux et ainsi que 5 civils étrangers seront tués. Le pays est alors divisé en plusieurs factions en guerre les unes contre les autres. C'était le chaos généralisé. Une mission suicidaire Pour tous, l'Amisom était donc une entreprise suicidaire… vouée à l'échec surtout que ses éléments, sous-équipés et sous-entraînés, devaient agir, malgré la situation explosive qui régnait sur le terrain, sous le très contraignant chapitre VI de la chartre des Nations (ONU). Pour les non-initiés, ce fameux chapitre VI définit le rôle du Conseil de sécurité en matière de prévention ou de règlement des conflits. Et l'ONU intervient généralement dans le cadre d'une action non coercitive reposant sur le consentement des parties en présence. Bref, l'usage de la force est très limité. Autant dire que dans ce genre d'opérations, les balles sont distribuées aux soldats au compte-gouttes. Les premières unités africaines envoyées en Somalie pour «ramener la paix» - et qui sont aujourd'hui composées de soldats burundais, bjiboutiens, kényans, sierra-léonais et ougandais - étaient pour ainsi dire livrés pieds et poings liés aux «insurgés» (les soldats n'avaient pas le droit de parler d'ennemis ou de terroristes, ndlr). Des insurgés qui, eux, étaient armés jusqu'aux dents et qui ne s'encombraient pas d'aspects légaux comme c'était le cas pour l'Amisom. La presse internationale avait qualifié d'ailleurs à l'époque ces «pauvres» soldats dont la solde ne dépassait pas les 700 euros… de victimes expiatoires. Ce n'était pas faux. Environ 3 000 soldats ont été tués depuis 2007, date du déploiement de la mission. Ce chiffre effarant est équivalent au nombre de Casques bleus qui ont péri lors de différentes opérations depuis 1948. Enorme, il illustre aussi bien la dureté des combats contre les insurgés que le manque de préparation de l'Amisom. «La situation en Somalie aujourd'hui ? Maintenant ça va. Au début, c'était l'enfer. Les milices nous harcelaient tout le temps et nous n'avions même pas le droit de riposter. Il fallait justifier chaque balle tirée alors qu'en face ils étaient armés jusqu'aux dents. Il nous était même interdit de posséder un certain type d'armement lourd. Nous n'avions pas d'hélicoptères pour transporter nos blessés. Si nous en sommes là aujourd'hui, c'est parce que beaucoup de nos valeureux éléments se sont sacrifiés. Nous étions aussi déterminés. Pendant longtemps cela n'a tenu qu'à un fil», se rappelle Baratura Guaspard, colonel dans l'armée burundaise et qui a longtemps crapahuté à Mogadishu avant d'être nommé porte-parole du ministère burundais de la Défense. Un début hasardeux et des pertes énormes Pour la petite histoire, la mission africaine en Somalie a failli être un projet mort-né. A la veille du déploiement des unités sur le théâtre des opérations, les responsables de l'Union africaine s'étaient rendus compte en effet qu'ils n'avaient pas d'avions de transport de troupes. Sans le concours de l'Algérie qui a bien voulu mettre une partie de sa flotte au service de la Commission paix et sécurité de l'UA, les Shebab seraient probablement au pouvoir aujourd'hui en Somalie. L'apport de l'Algérie à l'Amisom, confie un officier supérieur d'une autre armée africaine impliquée en Somalie pour aider les Institutions fédérales transitoires somaliennes à stabiliser le pays, «ne s'est pas limité à la logistique». L'armée algérienne (l'ANP, ndlr), précise-t-il, n'a également pas arrêté ces dernières années de faire profiter l'état-major de la Mission de son expertise en matière de lutte contre le terrorisme. Malgré un début hasardeux et des pertes en hommes et matériel énormes, aujourd'hui le résultat est là. L'Amisom dont on ne donnait pas cher de sa peau est toujours là. Certes, la Somalie est peut-être encore «infestée» de shebab, mais elle n'est plus leur propriété exclusive. Ils n'ont plus les moyens d'imposer leurs lois moyenâgeuses. La situation a particulièrement changé en février 2011 lorsque les troupes de l'Amisom ont reçu, enfin, le feu vert pour agir. L'offensive coordonnée avec plusieurs milices alliées somaliennes dans le sud et l'ouest du pays avait marqué le début de la lutte active contre les shebab qui ont été contraints d'abandonner Mogadiscio le 6 août 2011. Ce nouveau rapport de forces a alors permis la prise de plusieurs villes dont Afgoye, Merca ou encore Kismayo. La guerre n'est pas gagnée pour autant. Même amoindris et divisés, les shebab, ainsi que le montrent les attentats sanglants de Nairobi de septembre dernier, gardent un pouvoir de nuisance aussi bien en Somalie qu'en Afrique de l'Est. Même «pacifiée», il est pour l'heure pas du tout conseillé à un citoyen non somalien de circuler librement à Mogadiscio ou dans une toute autre ville «libérée». Le constat amène d'ailleurs certains fonctionnaires de l'UA qui travaillent sur le dossier à dire qu'il est difficile de vaincre totalement les «insurgés» et qu'il serait bon maintenant de chercher une voie autre que celle des armes pour ramener la paix. La difficulté est d'autant plus grande, disent-ils, que maintenant les shebab se sont fondus dans la population et qu'ils ont changé de mode opératoire. Pour faire court, ces fonctionnaires prônent un peu «une réconciliation à l'algérienne». Une réconciliation à l'algérienne Ce point de vue, pour le moment minoritaire, est en partie partagé par Abdul Diabagaté, fonctionnaire principale à l'UA en charge des Affaires humanitaires, qui estime «à titre personnel» que pour sortir durablement la Somalie de la guerre, il serait plus productif d'isoler politiquement les éléments les plus radicaux des shebab en prenant langue avec les modérés du groupe. Abdul Diabagaté suggère de mener de concert lutte antiterroriste et approche politique pour arriver très vite une solution définitive à la crise et permettre ainsi à l'Amisom de sortir sans davantage de casse du bourbier somalien. Il faut dire que la mission n'a pas trop les moyens d'accompagner sur le long terme la Somalie bien que cela soit une nécessité, les Somaliens n'ayant pas encore les moyens d'assurer eux-mêmes leur sécurité. Il n'est un secret pour personne, l'Amisom est le parent pauvre de l'UA et de l'ONU. Si elle est à 100% africaine, le fond de roulement de la mission est par contre à 95% européen. Et il se trouve qu'avec la crise financière internationale il est devenu de plus en plus difficile de trouver des sources de financements. Le constat est valable autant pour lutter contre le terrorisme. Ce n'est pas tout. Avec ses 17 000 hommes, il est pour ainsi dire impossible de sécuriser tout le pays. Cette situation d'incertitude et de dépendance (celle de l'Amisom vis-à-vis des financements européens) met hors de lui James Gadin, responsable politique au niveau de la commission de l'Union africaine qui, contrairement à ces collègues au sein de l'organisation panafricaine, soutient mordicus que le terrorisme dans la corne de l'Afrique peut être vaincu pour peu que les pays africains fassent preuve de plus de volonté politique et acceptent de consentir à quelques sacrifices financiers. «La Somalie est un problème africain. Il est inacceptable que l'on laisse les 5 pays qui portent l'Amisom depuis 6 ans se débrouiller seuls. C'est une honte que l'on aille chaque année demander de l'argent aux Européens alors que nous avons des pays sur le continent qui ne manquent pas de moyens», fulmine-t-il lors de son intervention à lors d'une conférence sur le rôle des médias dans les opérations de maintien de la paix en Somalie, organisé à Momaba au Kenya en septembre dernier. Pour lui, «tout le monde devrait nous soutenir les yeux fermés car il est prouvé que la mission est le dernier rempart contre Al Qaîda dans la région». «Si la Somalie tombe, c'est toute l'Afrique de l'Est qui risque d'être prise dans les griffes du terrorisme… et qui sait peut-être le Sahel aussi», martèle le cadre de l'UA. James Gadin n'est également pas tendre avec l'UA dont les structures lourdes et bureaucratiques la rendent inapte à régler les problèmes du continent et à régir avec la célérité voulue lorsqu'il y a des crises. Pour lui, la situation est aujourd'hui d'une simplicité absolue ou les Africains se remuent et prennent leurs responsabilités vis-à-vis du péril terroriste ou alors ils continuent alors à faire la politique de l'autruche au risque de se retrouver, un jour, le couteau sous la gorge. Une chose est sûre, convient James Gadin, les Africains et la communauté internationale ne peuvent plus dire qu'ils ne savaient pas.