Douze novembre 2008. Enième viol en bande organisée de la Constitution du pays. Réunis au «Palais du peuple» (sic !), 495 députés et sénateurs (sur les 531 présents) du Parlement entérinent les douze amendements introduits par le président Bouteflika dans la Constitution de 1996, la quatrième Loi fondamentale en 40 ans d'indépendance. 495 voix pour, 21 contre (voix du RCD), 15 abstentions (et 2 absents). En dépit de l'ordre républicain – sacralisé dans la Constitution –, l'article 74 plafonnant le nombre de mandats présidentiels est réécrit selon les desiderata présidentiels, ouvrant de suite la voie royale de la présidence à vie. La révision présentée officiellement (et ironiquement) comme étant «partielle» et «limitée» a accouché d'un troisième mandat et d'autre(s) probablement en gestation. 15 avril 2011. Pompeux discours dit des «réformes». «J'ai exprimé, à maintes reprises, ma volonté de faire réviser la Constitution et j'ai réaffirmé cette conviction et cette volonté à plusieurs occasions.» Le président Bouteflika réitère ainsi son désir de triturer la Loi fondamentale dont l'esprit ne s'est pas encore remis des derniers attouchements. «Pour couronner (le nouvel) édifice institutionnel, déclarait le Président, visant à renforcer la démocratie, il importe d'introduire les amendements nécessaires à la Constitution du pays.» L'amendement «passera par la création d'une commission constitutionnelle» à laquelle s'est engagé le Président, «participeront les courants politiques agissants et des experts en droit constitutionnel». «Elle me fera des propositions dont je m'assurerai de la conformité avec les valeurs fondamentales de notre société, avant de les soumettre à l'approbation du Parlement ou à vos suffrages par la voie référendaire». Mystère entier 26 mois après la profession de foi, et à six mois cosmiques d'une élection présidentielle aux contours évanescents, le projet de Constitution, telle que voulue et désirée par le président Bouteflika, garde son mystère entier. La parfaite arlésienne des fins de règne. Les rumeurs et autres «fuites» organisées sur le contenu présumé de la révision font office d'avant-projet et d'agenda de consultation. Au téléphone, des membres de la «commission d'experts» désignés (par le Président) se refusent à tous commentaire, à toute déclaration. Les seules bribes du Talmud présidentiel qui parviennent sur la place publique émanent non pas du très muet gouvernement et prisonnier des calendes grecques, mais des vieilles sibylles du président Bouteflika. Djamel Ould Abbès, sénateur, ancien ministre, proche courtisan du clan présidentiel, annonçait que d'ici «quelques semaines», le «problème» de la Constitution allait être abordé. «Il n'y aura pas de référendum», annonçait le sénateur (interview Algérie News, 30 septembre). «C'est au Parlement que reviendra la charge d'amender ou non la Constitution, comme ce fut le cas en 2008.» «La mouture est terminée, ajoutait-il, et elle sera présentée devant le Parlement pour être adoptée. Mais je vous dis une chose, il ne faut pas lier la révision de la Constitution à la prochaine élection présidentielle.» Si les visées du Président transcendent et vont au-delà la présidentielle (de 2014), seraient-elles pour autant d'ordre dynastique ou monarchiste ? Une chose de sûre : Bouteflika n'est pas George Washington dont la Constitution fondatrice des Etats-Unis d'Amérique (1789) a traversé sans dommages des siècles d'histoire. «Comparaison n'est pas raison», commente l'ex-député Ali Brahim, porte-parole du Mouvement citoyen pour les libertés et le développement. «L'égocrate Bouteflika dont le souci n'est pas de mettre en place une véritable démocratie avec séparation réelle des pouvoirs, un Etat de droit ou une justice indépendante fait de cette Constitution une lubie, obsédé par le seul désir de prolonger son règne non seulement à vie, mais au-delà même de la mort.» En Algérie, rappelle-t-il, chaque Président veut avoir sa propre Constitution. «Bouteflika ne déroge pas à la cette règle. L'idée d'une révision pour prolonger le mandat, de facto, n'ayant pas pris car ayant suscitée la révulsion de la classe politique, le président Bouteflika se rabat sur un autre scénario qui lui permettra de prolonger son règne indépendamment de son état de santé et de l'éventualité de son extinction à terme.» Autrement dit : «Le président Bouteflika veut se donner les moyens de briguer un quatrième mandat et de désigner lui-même le vice-Président.» Un vice-président pour «sauver l'après» Opportun et opportuniste, le scénario d'une élection «à l'américaine» – où le colistier du Président aura la charge de «sécuriser l'après» et d'assurer une vie éternelle, un Ad vitam æternam pour le suzerain – accuse un déficit en fraîcheur. Du «réchauffé» qui fait faire un bond majestueux de 37 ans à l'Algérie, vers cette «cuisine interne» au régime Boumediène dont Bouteflika était un des principaux préparateurs en chef. En cours d'élaboration, la Constitution de 1976 – celle de 1963 ayant été suspendue après le coup d'Etat du 19 juin 1965 – Abdelaziz Bouteflika, alors ministre des Affaires étrangères et soupirant actif à la succession, voulait déjà consacrer dans le marbre de la Constitution le poste de vice-Président. Témoignages de l'ancien ministre et candidat malheureux à la succession, Ahmed Taleb Ibrahimi (Mémoires d'un Algérien, tome 1) : «On a beaucoup épilogué sur mes relations avec Bouteflika (confidences d'un Boumediène à l'agonie recueillies par Ibrahimi, ndlr). La vérité, c'est que Abdelaziz était un jeune homme inexpérimenté qui avait besoin d'un mentor, j'ai joué ce rôle. Sans doute m'en veut-il de ne l'avoir pas désigné comme ‘'prince héritier'' ainsi qu'il le désirait. En effet, lorsqu'en 1976, j'ai chargé Bedjaoui de préparer un projet de Constitution, ce dernier est venu m'informer d'une demande de Bouteflika relative à l'introduction d'une disposition portant création d'un poste de vice-Président, élu en même temps que le Président, sur le même ‘'ticket'', à la manière américaine. A Bedjaoui qui voulait savoir si cette proposition avait mon agrément, j'ai répondu qu'en tant que juriste, il pourrait proposer autre chose, sauf introduire un tel article.» Fin de citation.