Les Targarins. Le 4 juillet 2006. Le président Bouteflika, réélu deux ans auparavant à la magistrature suprême, annonce dans un discours prononcé devant les officiers du commandement de l'armée et les caméras de l'Entv, également au garde-à-vous, son intention d'amender la Constitution par voie référendaire et a souhaité qu'elle se fasse « si Dieu le veut » avant la fin de l'année (2006). Annonce « surprise » à la veille de la célébration du 44e anniversaire de l'indépendance ? Pas vraiment. L'opinion nationale comme la classe politique étaient déjà largement préparées à cette entrée en scène du président de la République. La Constitution de 1996, amendée une première fois en 2002 par les deux chambres du Parlement (tamazight a été consacrée alors langue nationale, Ndlr), allait, selon les propos du président, subir une intervention lourde. La nouvelle Constitution doit définir, dit-il, les « règles d'un régime politique aux contours clairs », préciser « davantage les prérogatives et les responsabilités », veiller « au respect du principe de la séparation des pouvoirs », mettre fin aux « interférences entre les prérogatives des institutions ainsi qu'à l'amalgame entre le régime parlementaire et le régime présidentiel ». Le chef de l'Etat rappelle à ses interlocuteurs qu'en 1999, il avait déjà prévenu de la nécessité d'amender la Constitution promulguée par le général président Liamine Zeroual. « Le programme national (...) mis en œuvre en matière de rénovation globale de l'Etat et de la société appelait un amendement de la Constitution de 1996 ayant vu le jour dans une conjoncture de crise asphyxiante qui avait failli détruire les bases de la République. » Une Constitution, juge-t-il, « élaborée sous la pression de l'épreuve difficile que le pays avait traversée ». « Aujourd'hui, alors que l'Algérie a dépassé la situation de crise et de déséquilibre et qu'elle traverse une phase déterminante dans le processus de développement et de renforcement des structures d'un Etat de droit, il est indispensable, à notre sens, de soulever la question de l'amendement de la Constitution », a-t-il affirmé. Dans la ligne de mire du président Bouteflika, dès son retour au pouvoir en avril 1999, la Constitution de 1996 cumulerait, selon ses dires, des tares. Elle serait tantôt « ambiguë », « hybride », partagée entre les régimes parlementaire et présidentiel. Nombreuses étaient en effet les interventions publiques d'abord du candidat Bouteflika à la présidentielle de 1999, du chef de l'Etat concentrant tous les pouvoirs dans ses mains, où il était question de critiques acerbes envers la première loi du pays. La révision est indispensable, considère donc le président Bouteflika et qu'elle répond d'autant plus « à un souhait populaire large et à une revendication d'une grande partie des forces politiques et du mouvement de la société civile ». Boumediène et le « prince héritier » Dans l'annonce faite, le président s'est toutefois bien gardé de faire la moindre allusion à la durée et le nombre de mandats, (quinquennat ou septennat, trois mandats ou mandat à vie), qui seraient au cœur des prochains amendements, tout comme la création du poste de vice-président, élu ou désigné. Cette annonce unique, jamais rééditée par Bouteflika, tient lieu depuis plus de deux ans de débat politique grâce notamment à l'activisme de partis de l'Alliance présidentielle, des organisations de masse, des relais associatifs et des comités de soutien, auxquels s'ajoutent le zèle incommensurable des médias gouvernementaux. Depuis ce 4 juillet, le « nouveau chantier » du président est presque à l'arrêt. La maladie du président et ses complications politiques ne sont certainement pas étrangères aux soubresauts et « crapahutages » de la machine de propagande du clan présidentiel. La santé du président est certes un élément important, mais pas déterminant, semble-t-il. Rappelons à ce titre que la première admission à l'hôpital parisien du Val-de-Grâce en décembre 2005 du président de la République, (et sa « rechute » en avril 2006) ne l'ont pas du tout empêcher d'annoncer quelques mois après, en juillet de la même année, la révision constitutionnelle. Souvent effacé de la scène politique, le président ne s'est jamais exprimé depuis sur cette question. Un silence pesant. « Tactique » pour certains, « significatif » pour d'autres. Désormais, quand il s'exprime, c'est souvent par paraboles, à l'occasion d'entretiens exclusifs accordés aux médias étrangers. La révision de la Constitution telle qu'elle est projetée par Bouteflika rejoint, selon Taleb Ibrahimi, un vieux rêve de l'actuel locataire d'El Mouradia. Dans le tome 2 de ses Mémoires publié récemment, M. Taleb Ibrahimi, ancien ministre et « confident » du président Boumediène a révélé qu'en 1976, Abdelaziz Bouteflika, alors ministre des Affaires étrangères, voulait proposer à Boumediène la création du poste de vice-président à l'occasion de l'élaboration de la nouvelle Constitution. Le président Houari Boumediène aurait refusé de le désigner comme son « prince héritier ». M. Taleb Ibrahimi recueille ainsi les « confidences » de Boumediène : « Lorsqu'en 1976, j'ai chargé Bedjaoui de préparer un projet de Constitution, ce dernier est venu m'informer d'une demande de Bouteflika relative à l'introduction d'une disposition portant création d'un poste de vice-président, élu en même temps que le Président, sur le même ''ticket", à la manière américaine. M. Bedjaoui qui voulait savoir si cette proposition avait mon agrément, j'ai répondu qu'en tant que juriste, il pourrait proposer autre chose sauf introduire un tel article. » L'histoire n'est-elle pas un éternel recommencement ?