La série noire des attentats ciblant de hauts responsables militaires et civils continue d'endeuiller la Libye. Le chef de la police militaire libyenne, le colonel Mustapha Al Barghathi, a été tué, hier, par balle à Benghazi. Des généraux, des colonels et des hommes politiques, qui tentent d'entretenir un semblant d'autorité dans le far west libyen, tombent comme des mouches. C'est faire preuve d'une grande naïveté de croire que ces meurtres récurrents sont l'œuvre d'un groupe armé, de préférence islamiste, animé par le seul objectif de prendre le pouvoir. Ou qu'il s'agit simplement d'actes de vengeance des partisans de Mouammar El Gueddafi. C'est assurément un peu juste comme argument. L'équation libyenne est beaucoup plus complexe qu'elle ne paraît. Quand on voit le laxisme occidental face à cette entreprise de dépècement de la Libye, on se dit qu'il y a quelque part un complot et une stratégie visant, à terme, à réduire ce grand pays riche en ressources énergétiques, en un territoire ingouvernable. Une perspective qui offrirait une couverture politique et «légale» aux alliés d'hier pour revenir sur le lieu du crime et entamer une mission de pacification. Mais de pacification, il s'agirait plutôt d'élargir un peu plus les fractures entre Benghazi, Tripoli et Sabha. En un mot, la Libye sera divisée en trois régions comme au bon vieux temps : la Tripolitaine, la Cyrénaïque et la région de Fezzan. C'est sans doute le doux rêve que caressent de nombreux pays occidentaux dans le cadre d'un «Sykes-Picot 2» revu et corrigé. Les guerres étant par définition économiques, les grandes puissances en crise endémique ne cracheraient pas sur une manne énergétique qui s'offre à eux à moindres frais. Mieux encore, le dépècement de la Libye constitue une valeur ajoutée géopolitique inestimable, pour Washington, Londres et Paris, pour la sécurisation de leurs immenses intérêts en Afrique. Il va de soi qu'en posant les pieds sur la terre, jadis rebelle, de Libye, les puissants du monde se donnent des moyens imparables de bousculer la géopolitique du Maghreb et du Moyen-Orient. Créer des conflits confessionnels, tribaux et ethniques dans les Etats de la région serait alors un jeu d'enfants. Il y a donc tout lieu de s'alarmer face au chaos libyen. D'autant plus pour l'Algérie qui a résisté jusque-là aux secousses et autres répliques plus ou moins fortes du Printemps arabe qui dure décidément beaucoup plus longtemps qu'on le croyait. Rien ne dit en effet que l'Algérie et même le Maroc sont suffisamment immunisés contre le virus de la déstabilisation. La carte du monde arabe et musulman est certainement extensible à souhait dans la tête des stratèges américains. Les petits pas entre Washington et Téhéran sont peut-être annonciateurs d'une nouvelle idylle irano-américaine, dont les pays arabes pourraient faire les frais. Et un chaos arabe serait évidemment du pain béni pour Israël qui va arrêter son jeu de vierge effarouchée à la moindre déclaration. C'est dire qu'à Benghazi se joue non pas uniquement l'avenir de la Libye, mais probablement de tout le Maghreb. On est en plein dans le fameux «chaos constructif» de George Bush en Irak…