M. Abis est administrateur au secrétariat général du CIHEAM, organisation intergouvernementale qui promeut la coopération sur les questions de l'agriculture, l'alimentation et l'environnement dans le bassin méditerranéen. -La région de la Méditerranée est parmi les plus vulnérables face au réchauffement climatique. Quels sont les risques pour l'Algérie ? Les travaux du GIEC ont montré que le bassin méditerranéen, en particulier l'Afrique du Nord et le Moyen Orient seraient des régions particulièrement affectées par ce réchauffement, en plus d'avoir déjà un climat capricieux. Le développement pensé dans un contexte climatique très contraignant a toujours été une réalité du bassin méditerranéen. Mais avec le changement climatique, on doit s'attendre pour la région et pour l'Algérie à une baisse des précipitations annuelles, qui en plus seront variables (différence de volume, des variations inter-saisonnières). La température devrait augmenter de 3° à 5°, dans le scénario moyen en Méditerranée du sud à la fin du XXIe siècle. Si ces températures moyennes augmentent autant, toutes les capacités de productions agricoles des pays méditerranéens risquent de s'affaisser. On pourrait avoir des difficultés à produire davantage puisque le climat sera plus dur, l'eau et les terres plus rares. Sans oublier la responsabilité de l'homme par rapport à ces tendances globales, on sait aussi que la désertification est un grand problème sur le bassin méditerranéen et l'Algérie est particulièrement concernée. Il y a aussi le risque de diffusion des épizooties qui se sont accrues quand le changement climatique s'accélère, au même titre que la dégradation des systèmes forestiers méditerranéens qui subissent les mêmes effets. Il y a aussi la question de la gestion des ressources naturelles. L'eau et la terre sont déjà très rares, et si demain elles seront encore plus difficiles à mobiliser, nous aurons des impacts sur la sécurité alimentaire dans le bassin méditerranéen et en Algérie en particulier. Mais, le changement n'a pas les mêmes impacts dans tous les pays ni même dans chacun des territoires de ces pays. Il peut y avoir des wilayas algériennes plus concernées que d'autres. Il y a des réalités territoriales et locales qui doivent être prises en compte dans l'adaptation au changement climatique au même titre que les bonnes pratiques et expériences se situant à ce niveau. -La sécurité alimentaire représente en Algérie un enjeu majeur. Le réchauffement climatique complique-t-il davantage la donne ? Par rapport la sécurité alimentaire, il est certain qu'un pays comme l'Algérie nécessite à la fois des politiques agricoles et rurales à l'échelle nationale pour l'atténuer. Il est intéressant de noter que ces dernières années, l'Algérie s'est fortement remobilisée sur ces questions dans un cadre d'ouverture aux échanges internationaux. Le constat était qu'il fallait à la fois avoir une capacité de production à l'échelle nationale qui se conjuguait nécessairement avec des partenariats sur des échanges commerciaux. Par rapport à la situation actuelle et future, l'Algérie a besoin des approvisionnements extérieurs pour assurer une partie de sa sécurité alimentaire. Il va de soi que la France a encore une puissance agricole, et même si elle est confrontée aux changements climatiques, elle restera dans les années à venir capable d'exporter des céréales parce qu'il y a une certaine stabilité du climat et une régularité des productions. Il y a une responsabilité géopolitique en France de continuer à produire et à exporter notamment vers le bassin méditerranéen. L'Algérie est un partenaire privilégié de la France, et à ce titre ele peut s'assurer une partie des approvisionnements céréaliers en blé tendre (2/3 de ce blé provient de France et 1/3 de blé dur). Il y a déjà une interdépendance. Mais cette exportation céréalière de la France vers l'Algérie doit s'accompagner d'un dispositif de coopération et de développement qui passe par un partenariat pour aider par exemple l'Algérie à améliorer ses capacités de stockage, ses capacités logistiques, portuaires... Donc, de construire une filière céréalière plus organisée, optimisée, y compris sur l'import. L'interdépendance céréalière peut être gagnante-gagnante. Ces derniers mois, les deux pays ont beaucoup convergé sur le concept de l'agro-écologie. Il s'agit d'essayer de produire autrement dans un contexte climatique exacerbé et donc de partager de bonnes expériences qui permettent de produire mieux par rapport à la gestion des ressources naturelles, la démarche qualité, etc. L'ancien ministre de l'agriculture (Benaïssa) avait dit que sur l'aspect agro-écologie, l'Algérie peut apporter des choses à la France. Elle peut montrer comment dans un pays de fortes contraintes climatiques, elle a su adapter son agriculture et en quelque sorte dompter les difficultés géographiques pour mettre en place de bonnes pratiques. Il est donc possible de donner des expériences, des savoir-faire traditionnels qui peuvent être très importants, y compris pour un pays comme la France. Il y a dans les domaines agricole, alimentaire, du développement rural, une coopération à développer dans les années à venir et je crois que c'est le souhait des deux pays. Peut-on parler de stratégies de prévention, d'anticipation ou d'adaptation à mettre en place face au changement climatique ? C'est évidemment la combinaison des trois. C'est à la fois s'adapter dans un contexte qui évolue fortement d'un point de vue climatique, y répondre et changer des trajectoires de développement dans ces pays. Cela ne veut pas dire faire des révolutions sur des pratiques ou secteurs, mais faire des bifurcations sur certaines stratégies. Les enjeux sont énormes par rapport au développement agricole, à la gestion des ressources naturelles, au développement économique. Comment construire demain une croissance plus verte en Méditerranée, des économies durables et une prospérité basée sur des capacités de création d'emplois sur des métiers véritablement porteurs. Toutes ces préoccupations sont au cœur du bassin méditerranéen et appellent des réponses collectives Il ne faut pas que les pays aient des stratégies isolées et continuent à penser leurs stratégies d'adaptation d'une manière unilatérale. Il faut plus de dialogue régional et plus de multilatéralisme. Le rôle du CIHEAM est précisément de promouvoir ce dialogue multilatéral sur ces questions déterminantes, en essayant non pas d'appliquer partout les mêmes solutions, mais de partager les expériences et voir ce qui est possible de mettre en place à travers des systèmes mutualisés de réponses, d'un point de vue financier ou humain. C'est la coopération multilatérale qui donnera du sens à cet ensemble de stratégies, et c'est ce qui aujourd'hui manque à la Méditerranée. -On parle ces derniers jours du drame des réfugiés de Lampedusa. La tendance migratoire qui touche déjà la Méditerranée risque-t-elle de s'aggraver ? Il faut savoir qu'une grande partie de la migration illégale qui touche la Méditerranée est subsaharienne. Donc, la pression migratoire est d'abord une pression sur l'Afrique du Nord. On sait que les réfugiés climatiques vont être plus nombreux dans le futur dans certaines régions africaines et aussi dans certains territoires du bassin méditerranéen. Tout cela va contribuer à augmenter «la pression migratoire» dans la zone méditerranéenne. Le drame de Lampedusa risque de se répéter malheureusement à l'avenir, car les désordres environnementaux vont se développer aux quatre coins du bassin méditerranéen. Le problème de la migration est souvent lié à des zones de conflits et de pauvreté. Il n'est pas seulement lié à la pression de l'environnement, mais l'augmentation des risques climatiques contribue à cette pression.