Il n'y a pas mieux que Kamel Jendoubi pour parler des élections du 23 octobre 2011 en Tunisie. Le président de l'Instance supérieure indépendante des élections (ISIE) évoque, pour El Watan, la situation politique en Tunisie avec en toile de fond ce deuxième anniversaire des premières élections démocratiques en Tunisie indépendante. -Que vous inspire ce deuxième anniversaire du 23 octobre 2011 ? Il s'agit d'un mélange de fierté d'avoir été dans l'action pendant cette révolution vécue par la Tunisie qui a déposé le président déchu, et de doute suite à deux années blanches sur la voie de la réalisation des objectifs de la révolution. La réussite politique et technique de l'opération électorale le 23 octobre 2011 ne peut empêcher l'installation du doute parmi la population suite à l'échec du processus de transition. Le 14 janvier 2011 a ouvert la voie de l'espoir au peuple tunisien et à tous les peuples de la région. Le 23 octobre 2011 a été l'une des concrétisations de cet espoir avec des élections démocratiques et transparentes. Mais le bilan nul des deux dernières années pose de grandes interrogations quant à l'avenir. Le doute s'installe et c'est grave pour l'avenir du pays. -Auriez-vous souhaité reprendre le flambeau à l'ISIE ? De l'avis des observateurs locaux et étrangers, les élections du 23 octobre 2011 ont constitué une réussite pour notre démocratie en éclosion. Donc, au-delà de ma personne, la logique appelle à édifier une conception électorale démocratique à partir de cette expérience pour renforcer ses points forts et pallier ses défauts. La nouvelle ISIE devrait prendre le relais de son ancêtre. C'est dans cet esprit que j'ai cherché à sensibiliser les gouvernants et la classe politique sur l'importance du processus électoral dans toute transition démocratique. Mais jusque-là, ma voix n'a pas trouvé d'écho. La nouvelle loi sur l'ISIE comporte des défaillances qui pourraient avoir des conséquences sur l'indépendance de l'instance et, par conséquent, la crédibilité des élections. En termes d'indépendance, notre ISIE a donné un exemple digne d'être médité. Donc notre expérience peut servir le pays. -Avez-vous peur pour la transition démocratique en Tunisie ? Je mentirais si je disais que je n'ai pas peur pour l'issue de la transition démocratique en Tunisie. A voir l'assassinat politique gagner le pays et des maquis djihadistes s'installer et opérer contre nos vaillants soldats, je ne peux que douter de l'issue. En plus, je ne peux me retenir de condamner les premières réactions officielles hésitantes face à ce danger rampant, lui laissant le temps de s'implanter en toute quiétude. Ma colère est plus grande quand je me rappelle que plusieurs parties ont attiré l'attention du gouvernement sur ce danger. Le doute se renforce lorsque je me rappelle également qu'un jeune Tunisien a été condamné à sept ans de prison pour un commentaire sur internet, sans parler des autres atteintes à la liberté d'expression et des messages antidémocratiques que l'on veut glisser dans la Constitution, à l'image de cet article 141 qui parle de religion de l'Etat alors qu'un Etat civil n'a pas de religion par essence même. Oui, l'avenir de la Tunisie n'est pas certain. Mais je suis convaincu que le peuple qui a délogé Ben Ali peut imposer la démocratie… Même s'il y aura de la casse.