Il est clair que Kamel Jendoubi est au centre d'une campagne de discréditation dont Ennahda est la cheville ouvrière. Tunisie De notre correspondant Articles de presse anonymes s'attaquant à la gestion financière de l'instance des élections et fuites des sphères proches d'Ennahda indiquent clairement que les islamistes au pouvoir en Tunisie veulent se débarrasser de Kamel Jendoubi, trop indépendant à leurs yeux pour rempiler à l'ISIE. Un communiqué de la troïka, signé par Rached Ghannouchi, Mustapha Ben Jaâfar et Mohamed Abbou, a annoncé, le 13 octobre dernier, un consensus sur la personnalité pressentie pour diriger l'ISIE. Un membre du bureau politique d'Ennahda, Ameur Laâreyedh en l'occurrence, a déclaré aux médias qu'il s'agissait de Kamel Jendoubi. Mais depuis, le projet de loi sur l'instance des élections a évolué et l'actuelle version, en discussion à l'Assemblée nationale constituante (ANC), prévoit d'élire le président de l'ISIE par les neuf membres la composant, élus eux-mêmes par l'ANC. «Même s'il ne s'agit plus d'un consensus entre les trois présidents, les trois blocs parlementaires de la troïka, forts de leur majorité à l'Assemblée, peuvent toujours s'entendre afin de porter des noms à la structure de l'ISIE et, plus tard, mettre quelqu'un à sa tête», souligne le politologue Hamadi Redissi. La majorité requise pour élire un membre au sein de l'instance des élections s'élève toutefois aux trois-quarts aux deux premiers tours, rendant inévitable le consensus. Le schéma se prête donc plus que jamais à une instance indépendante, surtout après la rencontre de recherche de compromis entre des représentants du bloc des islamistes d'Ennahda et ceux du bloc démocratique, virulents défenseurs d'une administration électorale indépendante.Côté présidence, le bloc démocratique propose, lui aussi, le nom de Kamel Jendoubi pour rempiler à la tête de l'ISIE. «Mais si tout le monde est quasi-unanime, que justifie donc cette nouvelle tempête autour de la gestion de l'ISIE ?», s'interroge Hamadi Redissi. Mal-aimé Un satisfecit général s'est certes dégagé de la prestation de l'ISIE lors des élections du 23 octobre 2011. Acteurs politiques, société civile ainsi qu'observateurs internationaux et nationaux ont salué la transparence du processus électoral. Il y avait certes quelques lacunes. Mais c'est dans l'ordre des choses dans la mesure où l'ISIE n'avait que cinq mois pour mettre en place ses structures, inscrire les électeurs et préparer la logistique des élections. Elle a été élue en mai 2011 et les élections étaient prévues d'abord pour juillet («mission suicidaire», selon Kamel Jendoubi), avant d'être renvoyées au 23 octobre 2011. «L'essentiel c'est que les concurrents, vainqueurs et vaincus, n'ont pas contesté les résultats», ont surtout constaté les observateurs. «Le reste est corrigible, encore faut-il renforcer les acquis et pallier les défauts», ont-ils ajouté. Pourquoi donc ce récent acharnement contre Kamel Jendoubi ? «Ennahda a été obligé d'accepter le nom de Kamel Jendoubi dans l'accord du 13 octobre 2011 au sein de la troïka. L'essentiel était alors pour les islamistes de saborder l'initiative de l'UGTT, prévue pour le 16 octobre, qui cherchait à parvenir à un consensus national sur les grandes problématiques fondamentales, comme l'instance et les échéances électorales, le régime politique, l'instance des médias, etc. Il fallait donc anticiper cette initiative par un accord au niveau des composantes du pouvoir pour vider l'initiative du contre-pouvoir de sa consistance», explique Hamadi Redissi. «Il n'empêche qu'Ennahda ne gobe pas la personne de Kamel Jendoubi, trop expérimenté et trop cassant à leurs yeux. Jendoubi a certes chapeauté les élections d'une main de maître, et ces élections ont abouti à la victoire d'Ennahda. Mais rien ne l'empêche de mener à bon port d'autres élections pouvant mener d'autres fractions politiques à la victoire, ce qu'Ennahda ne voit pas avec indifférence», poursuit H. Redissi. «Jendoubi paie donc les frais de son caractère et de son indépendance, voire même de son expérience et sa compétence. Il dispose d'un crédit qui le met au-dessus du lot. Or, les gouvernants n'aiment pas toujours avoir affaire à de telles personnes. C'est le mal-aimé de l'étape. C'est pourquoi Ennahda ne cesse de multiplier les ballons d'essai afin de déstabiliser Kamel Jendoubi et le pousser à l'erreur. Le dernier en date parle de dépassements constatés par la Cour des comptes. Le contentieux de l'Etat serait même sur le point d'entamer des poursuites contre l'ISIE car 42 millions de dinars manquent de justificatifs de dépenses», ont annoncé certains médias. Or, le coût total des élections du 23 octobre s'élève à 37 millions de dinars… Autre échantillon : un avocat connu pour ses procès tapageurs contre les anti-pouvoir troïka parle d'un coût exorbitant des élections s'élevant à plus de 4000 dinars par électeur et un coût total de 40 milliards de dinars, soit une fois et demi le budget de l'Etat. Il est clair que Kamel Jendoubi est au centre d'une campagne de discréditation dont Ennahda est la cheville ouvrière. La transition démocratique en Tunisie est en jeu.