Chaque rentrée scolaire, c'est le même déchirement, la même douleur.» Retenant ses larmes avec difficulté, Samir Mamma, père d'un petit garçon autiste et membre de l'Association nationale des autistes (ANA), poursuit : «Afin d'amoindrir la catastrophe et le gâchis que l'on ressent en ce jour si spécial où tous les enfants, sauf le vôtre, sortent le matin cartable au dos, nous organisons, avec les autres parents membres de l'ANA, une sortie ‘thérapeutique'.» Car probablement plus que les autres, les enfants autistes n'ont que rarement l'occasion d'être scolarisés. C'est un trouble encore trop méconnu en Algérie. D'ailleurs, il n'existe aucune statistique fiable quant au nombre d'autistes dans notre pays. L'appellation n'existe même pas dans les données du ministère de la Solidarité. Pour eux, ils sont juste ‘handicapés mentaux' », explique le jeune homme. Son fils, âgé de 5 ans, «non verbal», n'est pas scolarisé. «Et ce n'est pas faute d'avoir essayé. Mais à chaque fois, quel que soit l'établissement, l'on refuse par peur de ‘perturbations'. Pourtant, il est très calme», confie M. Mamma. Le papa a même tenté de placer à ses côtés une assistante de vie scolaire (AVS), en vain. «Les AVS ne sont que rarement acceptés par les écoles. En sus, elles sont difficiles à trouver et leur salaire est élevé», déplore-t-il. Les solutions existent pourtant, selon l'état et l'aptitude de l'enfant à suivre et à communiquer. Certains enfants présentent d'ailleurs des dons dans divers domaines, malgré leur «sociabilité nulle». «L'on entend souvent des histoires d'autistes très doués manuellement, intellectuellement, scientifiquement ou encore artistiquement. Mais en Algérie, il est impossible de déceler et de développer ces aptitudes, même lorsqu'il s'agit du syndrome d'Asperger», s'attriste M. Mamma. Car sans volonté et écoute de la part des autorités compétentes, l'espoir est mince. «C'est un dur combat à mener, qui sera de longue haleine. Il y a déjà une lueur qui nous vient d'Oran : une association a réussi à obtenir une classe intégrée dans une école normale. Sept enfants, de 5 à 8 ans y sont scolarisés avec des AVS», espère-t-il. Seul bémol : «Une intégration des cas les plus ‘légers' a été refusée, et ce, même en compagnie d'une AVS». Le rejet, encore et toujours. Ce ne sont pas les exemples qui manquent. Une petite fille exclue d'une école préscolaire au bout d'une heure, sous prétexte de «crise». Et même pis. Un adolescent de 16 ans se voit refuser toute scolarisation sous prétexte qu'il ne parle pas. Pourtant, il est parfaitement trilingue à l'écrit. Des refus «aberrants» devenus la règle Toutes semblables, mais tellement singulières, ce sont ainsi de nombreux parents qui racontent les mêmes histoires, faites d'intolérance et de peur de l'autre, d'ignorance se le disputant à la méchanceté, mais aussi d'un mur d'indifférence qui les heurte de plein fouet. «Tous les parents d'enfants différents, et tout particulièrement lorsque le handicap est visible et mental, ont eu à frapper à plusieurs portes avant de pouvoir trouver une place à leur enfant», explique-t-on. M. Amoura de l'ANIT va de crèche en garderie, de jardin d'enfants en nourrice. En vain. «Ma fille a aujourd'hui quatre ans et elle est obligée de rester à la maison. Il y a vraiment un problème que les autorités doivent régler», s'énerve-t-il. «Comment peut-on voir son bébé vivre l'exclusion à 2 ans, alors que rien ne le différencie d'un autre bébé de son âge, et l'accepter ?», s'indigne-t-il, la gorge nouée. Pour son petit Mehdi, 2 ans, Saïd a lui aussi été dans l'obligation de faire une entorse à l'impératif d'une sociabilisation «normale». «Il est, pour l'heure, en garde chez une nourrice. Tous les établissements pour la petite enfance que j'ai sollicités ont tout simplement refusé», raconte-t-il. Lorsque Saïd tente d'en savoir plus, on lui explique que l'ordre vient de plus haut. «La directrice en charge de la gestion des crèches publiques à Alger a fait circuler une note à destination des responsables de ces établissements, leur interdisant formellement, sous peine de sanction, d'accepter l'inscription d'enfants trisomiques», explique-t-il. Pourtant, selon le ministère de la Solidarité nationale, cette fin de non-recevoir est «inenvisageable». «C'est une aberration que quiconque puisse refuser une place en crèche ou en jardin d'enfants à un jeune handicapé. Les responsables de ces établissements, publics ou privés n'ont pas le droit de faire dans la sélection», affirme la directrice en charge de la protection et de la promotion des personnes handicapées au sein du ministère de la Solidarité nationale. D'ailleurs la loi est «formelle» et doit être appliquée par tous. «Les parents qui font face à ce type de comportement doivent s'en plaindre à la direction de wilaya chargée de l'action sociale (DAS)», insiste-t-elle. En attendant, des milliers de bébés et de parents sont écartelés entre l'impératif d'une scolarisation et la peur du rejet. «Je compte prendre en charge son éducation moi-même, à la maison. Je ne veux pas qu'il affronte toute cette haine. Il est de mon devoir de l'en préserver…», a, quant à lui, tranché M. Mamma.