On ne finira jamais de parler du phénomène Da Vinci Code qui est en train d'effacer le nom même de son écrivain Dan Brown. D'ailleurs, tout se passe dans un climat d'une nouvelle frénésie qui s'installe en Amérique, en Europe et en Asie, et à laquelle on demeure encore étranger : l'interprétation cinématographique des best-sellers des temps modernes comme La Tache, Le Parfum qui sortira prochainement sur les écrans et d'autres, sans parler bien sûr de la littérature infantile qui se chiffre au niveau des ventes livresques en millions d'exemplaires et qui obéit à une logique moins complexe que celle qui touche le roman, comme Narnia, Harry Potter et Le Seigneur des anneaux dont les affiches publicitaires tapissent les métros et lieux publics en Amérique et en Europe. Et voilà enfin Da Vinci code qui sort dans les salles de cinéma en fanfare et tambour battant. Le système parfait de marketing a fait de l'attente son atout fondamental. Une attente orchestrée d'une manière professionnelle parfaite : le film aura-t-il la même force que le roman ? Une anticipation qui a fait du film, encore en cellule de montage, une réalité alors que celui-ci n'avait qu'une présence fictive. En effet, depuis quelques mois, la publicité a investi les lieux publics, gares, stations aéroports, supermarchés, d'affiches et de produits dérivés à forte consommation, dont le café et les parfums. Une préparation du public consommateur qui ne pouvait en finalité que réveiller en lui un désir que le livre de Dan Brown avait déjà installé avec force. L'idée première était simple, même trop simple : mettre au profit du film cet acquis livresque et vice-versa. Il n'est plus question de la valeur littéraire d'un livre ou d'une esthétique filmique, mais plutôt d'un système qui va jusqu'au bout de sa logique et qui ne lésine sur aucun moyen pour désarmer et les lecteurs les plus avertis et les spectateurs expérimentés. Le film a provoqué durant toute la période publicitaire qui a précédé la sortie officielle, un effet retour qui rebondit sur le roman qui était à l'origine de tout ce phénomène : il a renvoyé les lecteurs les moins convaincus au début, vers le livre pour la préparation ultime avant la projection du film. Il suffit de voir comment les ventes sont revenues au top et d'une manière très sensible, surtout à Los Angeles, ville pleine de sensibilités artistiques, ou à New York réputée cité trop exigeante dont la raison l'emporte toujours au détriment des grandes machines publicitaires. Pourtant le cas Da Vinci Code est très révélateur et atypique, puisque la raison n'a pu défier la machine parfaite. Le livre qui commençait à s'essouffler et à disparaître des étalages des grandes librairies des grandes artères new-yorkaises ou celles de Los Angeles, a fait le fruit d'une vraie relance publicitaire. D'abord par l'affaire du procès pour plagiat, intenté par deux Anglo-Saxons, remporté par l'écrivain en mars dernier, et puis le film qui a propulsé le livre Da Vinci Code au-devant de la scène de consommation littéraire, laissant loin derrière lui les dernières parutions de l'écrivain, dont les ventes restent dans des limites imaginables (Anges et démons vendu à 1 100 000 exemplaires, Déception Pointe à 550 000 exemplaires) et ceci malgré l'apport de Da Vinci Code. Traduit dans plus de 44 langues, et une vente qui a dépassé tout entendement puisqu'elle vient de dépasser le record des 40 millions d'exemplaires, dont plus de 5 millions en France. C'est comme l'onde de choc d'un séisme qui n'en finit pas de se propager loin de son épicentre. Même la controverse qu'il a déclenchée et qui va se poursuivre à travers le monde avec la sortie du film ne fera que pousser les tirages davantage et verra ses pires détracteurs se transformer, malgré eux, en agents de publicité involontaire. L'Eglise en émoi et la presse chrétienne ne laisseront pas passer une telle occasion sans s'attaquer au livre et au film en le considérant comme perversion chrétienne impardonnable. Des cardinaux déjà appellent au boycott d'un film bourré de calomnies et suggèrent aux fidèles d'user de moyens légaux pour riposter contre le mensonge systématique. Sept pages dans le journal La croix, le jour de la sortie du film, un cahier supplémentaire dans la famille chrétienne. Du côté de l'Opus Dei, mis en cause dans le livre et le film, on s'agite ; interrogé sur les mortifications que s'inflige le moine Albinos, il concède : Elles appartiennent au patrimoine spirituel de l'église... Bien sûr, elles doivent être vécues avec bon sens et modération. L'Opus Dei a même créé une page web dans laquelle il réfute point par point les allégations de Dan Brown. L'organisation ultracatholique a même négocié auprès des éditeurs américains un droit d'équilibre médiatique, puisque désormais Da Vinci Code partage, aux USA surtout, les vitrines des librairies avec Le Chemin, version américaine du livre phare du fondateur de l'Opus Dei. Des pourparlers avec les producteurs Columbia et Sony ont été engagés pour atténuer la charge du film. Même certains scientistes, trop attachés à un certain idéal de la pensée européenne, se sentirent lézardés. C'est la déroute puisque le mythe fondateur le plus important de cette pensée a été remis en cause et l'histoire entière tient à un misérable fait divers qui sacralise ainsi une menterie. J'ai eu l'occasion de voir Da Vinci Code (réalisation : Ron Howard, interprété par Tom Hanks dans le rôle du professeur de Harvard Robert Langdon et Audrey Tautou dans le rôle de la cryptologue Sophie Neveu) le premier jour de sa sortie officielle (mercredi 17 mars 2006), si ce n'est pas un navet, ce n'est pas non plus la foudre. Toutefois, une chose est sûre, les salles de projection étaient pleines à craquer. Le seul vainqueur ; c'est toujours la machine et le Big Brother (1984 Georges Orwell) qui contrôle nos consciences de loin, mais sûrement bien encadré par un marketing implacable : une avant-première mondiale pour l'ouverture du 59e Festival de Cannes avec une sortie simultanée dans 900 salles françaises et une station métro Concorde juste à côté de la station Louvre, totalement drapée dans les oripeaux du film pour lui assurer un démarrage canon. Film oblige toujours, de nouveaux Da Vinci tours sont apparus cette année, 25 ¤ pour deux heures de périple dans Paris de Da Vinci Code, 162 ¤ pour une croisière parisienne à travers les lieux virtuels du roman, 4000 ¤ pour un séjour d'une semaine dans le château de La Villette, demeure du XVIIIe siècle citée dans le roman, la nuit d'hôtel dans le Ritz, dans la chambre de Tom Hanks, coûte 720 . La liste est trop longue pour tous les citer. Ceux qui ont aimé le film, très attachés au texte référentiel, et ceux qui l'ont trouvé moins qu'ordinaire ou juste un plagiat masqué entre deux livres et deux films qui ont bouleversé l'actualité des années 1980 : La dernière tentation du Christ de Nikos Kazantzakis (réalisation : Martin Scorsese) ou Le nom de la rose d'Umberto Eco (réalisation : Jean-Jacques Annaud), s'entendent à reconnaître la force immobilisante de cette machine qui a propulsé davantage le livre. Dan Brown, qui a trouvé sa thématique fétiche, fera parler de lui davantage avec la sortie en 2007, de son nouveau roman sur une autre société secrète : les francs-maçons ; une vraie bombe en perspective. Aux USA, on se bouscule déjà pour l'achat des droits d'un film, dont le livre est encore à l'état virtuel. Mais rien d'étonnant dans cette ambiguïté américaine gérée par une raison indétectable, puisque Da Vinci Code aussi paraissait peu crédible et inabordable pour Dan Brown lui-même, c'est sa femme Blythe qui l'a poussé vers la réalisation. Dire que derrière chaque grand homme il y a la face cachée d'une grande femme n'est pas un vain mot ; La Cène de Léonard de Vinci, avec une Marie Madeleine à peine visible et un Christ écoutant attentivement ses disciples, en est l'exemple parfait. D'ici la sortie du nouveau Dan Brown, on continue à consommer tranquillement Da Vinci Code, phénomène parfait de la société de consommation ultramoderne.