Fontaine de l'Espérance, mon œil !» Slimane joue avec ses amis aux dominos à deux pas de la sculpture offerte par la ville de Marseille. Inaugurée en 2010, cette réplique de l'œuvre placée dans la ville phocéenne «a été réalisée conjointement à Alger pour concrétiser de façon symbolique le rapprochement entre les deux villes». Habitant le quartier Groupe Taine, Slimane, la vingtaine, se souvient du jour de l'inauguration de l'œuvre au jardin Taleb Abderrahmane. «J'étais dans la foule comme tout le monde. Ce jour-là, je me suis dit que notre quartier, qui a beaucoup souffert, n'a pas besoin d'un totem, mais de projets concrets. Le wali d'Alger, qui accompagnait le maire de Marseille, n'a jamais mis les pieds chez nous, j'en suis sûr. Nos jeunes n'ont rien. Ils se shootent et se gavent de psychotropes pour oublier leur quotidien. Le stade Farhani où ils pouvaient se défoncer est fermé. La plage R'mila, la seule du quartier, a été aussi fermée à cause de ces travaux sans fin. Même la piscine d'El Kettani (Padovani) a rouvert à la fin de l'été pour être interdite aux jeunes tout de suite après. Et après toutes ces misères, ils osent nous parler d'espérance», s'indigne ce diplômé en sciences économiques au chômage. Le quartier de Bab El Oued a vu ses rares équipements fermés à double tour ou détournés de leur vocation sur décision de la wilaya. La population, qui s'efforce de garder sa gaieté et son bagou naturel, squatte les rues et les placettes encombrées d'une ville qui a beaucoup souffert : terrorisme, répression, inondations, séisme. «On n'a rien : pas de centre culturel, ni maison de jeunes ni même un stade. Le seul, le stade Ferhani, a été récupéré par la DJSL. Mais au lieu de l'ouvrir, il est fermé pour de soi-disant travaux. Il ne faut pas s'étonner alors que nos jeunes se droguent et se jettent à la mer à la recherche d'un bonheur qu'ils n'ont pas chez eux», enrage Youcef Chaouadi, élu à l'APC, et «mémoire vivante» du quartier populaire. Pourquoi les élus n'ont pas pu maintenir ouvert le stade Ferhani qui leur avait été cédé dans un premier temps par le désormais ex-wali, Mohamed Kebir Addou ? «Les élus n'ont pas de pouvoir. C'est le fonctionnaire qui décide à la place de l'élu. La Constitution est pourtant claire, la souveraineté appartient aux élus. Pour recruter une femme de ménage ou un gardien, le wali doit impérativement donner son accord», relève M. Chaouadi. Vieux bâti La population souffre de la promiscuité dans des cités construites, pour certaines, à la fin du XIXe siècle. «Des gens nous sollicitent surtout pour un logement. La tension est à son comble. Il y a plus de 80 000 habitants et une densité effrayante. Le taux d'occupation des logements (TOL) est important. Il y a jusqu' à 17 personnes par logement. Bab El Oued, ce sont des cités de recasement, surtout au sud de la ville», relève l'élu. La commune a-t-elle bénéficié de quotas ? «Quelque 1250 familles ont été relogées après les inondations de 2001. Il y a eu certes la distribution de 227 logements dans le cadre du social et 600 autres de type LSP (100 à Aïn Benian, 500 Draria), mais c'est insuffisant vu le nombre demandes. Depuis 2007, il n'y a pas eu de nouveaux quotas. On en attend toujours pour pouvoir satisfaire les 14 000 demandes des différents types reçus par l'APC», précise-t-il. En attendant, la population se débrouille comme elle peut. En occupant les terrasses et les caves ou les rares espaces à la limite de Oued Koreich. Le chômage est également un problème épineux. L'APC affirme chercher des formules pour recruter les jeunes au chômage. «Nous avons jusqu'à 3000 dossiers de demandes d'emploi. On trouve de plus en plus d'universitaires parmi les demandeurs. J'essaie d'en caser le maximum. Je travaille avec les responsables des Epic Asrout, Netcom, Hurbal, Tassili Airlines. Je fais personnellement des déplacements au niveau de ces organes pour faire recruter les jeunes du quartier. J'ai réussi à faire embaucher à ce jour quelque 250 jeunes. J'ai fait recruter une dizaine de jeunes chez Hurbal. Le directeur de l'Epic, M. Makhoukh est ‘‘nass mlah'' (un gars formidable). Je tiens à le remercier vivement pour tout ce qu'il fait. On a aussi 200 jeunes dans le pré-emploi et une dizaine dans l'opération Algérie Blanche», indique le président de l'APC, Athmane Sahbane, jeune pilote de ligne qui a choisi de «driver l'équipe municipale et aider sa population à sortir de l'ornière». Y parviendra-t-il ? Ici beaucoup en doutent. «On a beau essayer de changer les choses, rien n'y fait. Bab El Oued a beaucoup souffert et seul un plan Marshall permettra à sa population de sortir de la misère», estime un septuagénaire, qui affirme avoir vécu toutes les crises du quartier «depuis les exactions commises par l'OAS».