La démonstration que le théâtre de Kateb Yacine demeure, plus que jamais, d'actualité. Le Théâtre régional de Sidi Bel Abbès a réussi supérieurement à s'attaquer à une œuvre qu'on ne peut approcher impunément : Les ancêtres redoublent de férocité. Cette évocation du passé, mêlant mythe et histoire, tragédie et épopée, s'est trouvée charriée par un spectacle qui nous replonge dans les affres de la guerre d'indépendance, mais aussi dans la tragédie actuelle, causée, entre autres, par un passé jamais passé et des contradictions demeurées cruelles et féroces. Cela sans que la réalisation n'ait eu à forcer sur une quelconque actualisation, s'attachant surtout à préserver la polysémie de la pièce, dans une traduction de Youssef Mila qui s'est efforcé de préserver l'essentiel. L'intrigue, rappelons-le, relate très «basiquement» l'évasion de deux prisonniers, Hassan et Mustapha, qui, au lieu de rejoindre Nedjma, l'étoile-guide dans le combat contre l'usurpateur, rejoignent le Ravin dit de la Femme Sauvage où cette dernière est recluse sous la surveillance jalouse d'un vautour, incarnant Lakhdar ou son esprit puisque cet amant de Nedjma était donné pour mort. Hassan et Mustapha vont le combattre et finir par se retourner l'un contre l'autre pour l'amour de la femme sauvage, et sous ses yeux, celle-ci étant, en définitive, Nedjma elle-même. Comme le notait pertinemment notre confrère Ahmed Cheniki dans une de ses études, nous n'avons pas affaire «à un antagonisme de type unique, colonisé-colonisateur mais à une série de contradictions illustrées par les rapports conflictuels entretenus par les personnages». Dans les dialogues, Mila mêle l'arabe classique au dialectal qui fuse parfois comiquement, note de prosaïsme et de distanciation, soulignant le tragique de la situation. Mohamed Fri-Mehdi, le metteur en scène, est un de ces artistes du théâtre indépendant qui ont émergé durant la décennie rouge et qui réalisent actuellement le meilleur de ce qui se fait dans le théâtre étatique. Il signe là une plus qu'honnête mise en scène avec quelques succulentes trouvailles. Il ne s'est pas facilité la tâche en optant pour une scène nue, misant sur le jeu d'acteur, un jeu excluant toute intériorité. Il l'a même compliqué en optant pour une forte distribution, 14 comédiens, dont la moitié n'a pas encore muri. La scénographie de Hamza Djaballah a tout misé sur les costumes pour renforcer la polysémie. La musique de Hassan Lamamra, puisant dans le patrimoine, l'a transcendé pour soutenir la mythique ancestralité qui gorge l'intrigue. Quant aux lumières, elles n'ont pas créé d'espaces mais plutôt une atmosphère. Enfin, la chorégraphie devant insuffler l'étrangeté est de Chouat Aïssa. Elle a réussi son pari, quoiqu'un peu pataude et quelque peu athlétique. Cependant, pour rendre à César ce qui lui appartient, le tout est à mettre au crédit de Hassan Assous qui, dans cette affaire particulièrement, et depuis quelques années, nous a rappelé par deux fois l'œuvre ineffable d'un Kateb Yacine, subversif même d'outre-tombe, avec Ghabtret Lafhama et Chadaya, en tant que metteur en scène puis producteur.