A s'en tenir aux indicateurs macro-économiques, l'économie algérienne se porte plutôt bien : des réserves en devises qui caracolent à 60 milliards de dollars ; une dette extérieure ramenée à 14 milliards de dollars (cet endettement est même appelé à baisser considérablement avec la mise en route des remboursements anticipés) ; une inflation inférieure à 3% ; une croissance économique de plus de 5% ; un taux de chômage de 15% ; last but not least, un budget de 80 milliards de dollars alloué par l'Etat au programme complémentaire de soutien à la croissance économique pour la période allant de 2005 à 2009. Pour une économie qui enregistrait, sept ans seulement en arrière, une faible croissance, un taux de chômage avoisinant les 30%, un endettement extérieur de 30 milliards de dollars, ces chiffres, brandis par les officiels tels des trophées de guerre, prêtent, il est vrai, à l'euphorie. L'envers du décor est cependant nettement moins réconfortant ; il prête moins à la béatitude qu'à la consternation. En effet, en dépit ou en raison de ces chiffres mirobolants, l'économie nationale demeure, de l'avis des spécialistes, structurellement fragile et singulièrement contre-performante. Grâce à une conjoncture internationale favorable -due, entre autres, à l'augmentation de la demande énergétique mondiale et à la guerre en Irak (pays anciennement producteur de 3 millions de barils/jour, détenteur par ailleurs de la deuxième plus grande réserve mondiale prouvée en pétrole) -, l'Algérie a vu progresser ses exportations d'hydrocarbures de 13,2 milliards de dollars en 1999 à plus de 45 milliards de dollars en 2005. Or, si l'accroissement considérable de ces recettes a permis à l'Etat rentier algérien de réduire son endettement extérieur de moitié et de relancer sa croissance économique, il n'en a pas moins contribué à fragiliser l'économie nationale en amplifiant sa dépendance vis-à-vis des fluctuations du marché pétrolier mondial : tandis que les importations de pays s'élèvent, pour l'année 2005, à 22 milliards de dollars, les exportations hors hydrocarbures, elles, représentent à peine 800 000 dollars, soit, en l'espèce, 4% seulement des importations ! Alors même que les réserves pétrolières du pays sont modestes - comparativement à celles dont disposent l'Arabie Saoudite - et ont, au surplus, une durée de vie limitée, l'économie algérienne reste dangereusement dépendante de ses ventes d'hydrocarbures, celles-ci représentant, pour ces cinq dernières années, 97% en moyenne des exportations du pays. Les investissements n'ont pourtant pas manqué : de 1971 à 2000, l'Etat a consenti, en moyenne, 32% de son PIB à l'investissement -là où la moyenne mondiale se situait, pour la même période, à 21%. Cependant si le taux d'investissement consacré par l'Algérie à son développement compte parmi les plus élevés au monde -pour la période indiquée -, le taux de productivité algérienne, lui, figure parmi les plus faibles de la planète. L'Algérie, selon une récente étude de la Banque mondiale portant sur les taux de productivité par économies nationales, figure en effet à la 85e place sur 93 pays étudiés. La Tunisie - qui n'avait pas les moyens d'investir autant que son « riche voisin de l'Ouest », se classe, elle, au 15e rang mondial devant Israël à la 19e place et l'Egypte à la 40e. Il est un autre indicateur qui dévoile on ne peut plus clairement les contre-performances consternantes de l'économie algérienne : le PIB per capita. En 1985, l'Algérie avait un PIB par tête supérieur à celui du Portugal ; le PIB per capita de ce pays est, aujourd'hui, 7 fois plus élevé que celui de l'Algérie. La comparaison avec le voisin tunisien est plus édifiante encore : alors que le PIB par tête de la Tunisie représentait, en 1985, la moitié de celui de l'Algérie, il est, aujourd'hui, en passe de représenter 1,5 du nôtre. Deux autres indicateurs, importants entre tous, expliquent en partie ces contre-performances structurelles de l'économie nationale : la corruption et le développement humain. Peux-t-on rendre une économie performante avec un taux de corruption honteusement élevé et un développement humain scandaleusement bas ? La question obsédante qui se pose à présent est de savoir si les 80 milliards de dollars affectés au programme complémentaire de soutien à la croissance économique vont corriger ou au contraire exacerber ces contre-performances ? C'est pour tenter d'éclairer ce contraste entre l'aisance financière d'un côté et les lourdes contre-performances économiques de l'autre que le forum Les Débats d'El Watan s'est résolu à en faire le thème de sa troisième édition, qui se tiendra aujourd'hui, de 14h à 18h, au Grand Hôtel Mercure (aéroport d'Alger). Cette rencontre, il importe de le préciser, se veut le premier volet d'une série de plusieurs conférences-débats, toutes programmées dans le but d'informer les citoyens sur les enjeux économiques qui conditionnent le devenir de leur pays, Etat, nation et société. Pour inaugurer cette série de débats consacrés aux enjeux économiques, nous avons sollicité trois économistes algériens : Smaïl Goumeziane, Hamid Aït Amara et Mohamed Bahloul. Le premier, ancien ministre-délégué au Commerce (de septembre 1989 à juin 1991), enseignant-chercheur à l'Université Paris IX Dauphine, est l'auteur de plusieurs ouvrages, dont Le mal algérien. Economie politique d'une transition inachevée 1962-1994 (Paris, Fayard, 1994). Le second, économiste-sociologue, chargé de cours à l'Université d'Alger, est l'auteur de plusieurs ouvrages dont L'agriculture méditerranéenne dans les rapports Nord-Sud (Paris, L'Harmattan). Le troisième, universitaire et consultant international, dirige l'Institut de développement des ressources humaines (IDRH, Oran) dans lequel il mène des recherches sur le capital humain.