Comment à partir de simples fragments d'ossements ou de squelette, des chercheurs étudient les comportements, les aspects ainsi que les modes de vie des populations durant la préhistoire. C'est ce que tenteront de nous faire découvrir les chercheurs du CNRPAH d'Alger. Il y a des millions d'années, des êtres vivants, végétaux et animaux, ont arpenté le monde. Ils ont vécu, disparu et laissé des traces de leur présence par des fossiles ou des os définitivement incrustées dans la pierre ou sous terre. Comment pouvons-nous connaître ces détails ? Telle est la mission des chercheurs paléontologues. Patients et passionnés dans leur métier, ils s'intéressent à l'étude des fossiles de ces êtres oubliés par le temps. A quoi ressemblaient-ils ? comment se déplaçaient-ils ? quand ont-ils vécu précisément, et dans quel environnement ? Pour répondre à ces questions, un travail fatigant et de longue haleine est mené par des chercheurs émérites en paléontologie au centre national de recherche préhistorique, anthropologique et historique (CNRPAH), situé en plein centre-ville d'Alger. En arpentant des escaliers menant à un laboratoire, nous apercevons devant nous une salle appelée «Salle Lucy», en référence au fameux squelette trouvé en Ethiopie en 1974. «nous avons un exemplaire de Lucy, que très peu de pays dans le monde possèdent. Ce vieux squelette d'hominidé préhistorique, âgé de plus de 3 millions d'années, trouvé à Addis-abeba, dans la région d'Haffar, est considéré comme un ancêtre très ancien», nous apprend Souhila Merzoug, responsable du laboratoire de paléontologie et d'archéozoologie au CNRPAH. Des crânes d'hominidés et des milliers de fragments d'os reposent dans cette salle. Ils viennent de différents sites préhistoriques du pays et sont bien conservés dans des tiroirs ou des coffres vitrés. Depuis la période coloniale jusqu'à ce jour, la mission du CNRPAH concerne la recherche dans les domaines de la culture et des interactions de l'homme avec ses milieux de la préhistoire à nos jours. «notre travail consiste à étudier les comportements, les aspects ainsi que les modes de vie des populations durant la préhistoire, c'est-à-dire avant l'avènement de l'écriture jusqu'à la période actuelle où l'homme a évolué», ajoute-t-elle. En effet, pour reconstituer ces biodiversités du passé et donner vie à ces êtres dormants ensevelis depuis des milliers d'années dans les quatre coins du pays, qui possède contre toute attente un patrimoine préhistorique insoupçonné, les paléontologues du centre divisent leur travail en quatre grandes étapes. Aventuriers et chercheurs, ils se représentent souvent comme une sorte d'«Indiana Jones». à la recherche de traces fossiles Il ne s'agit pas d'un espace où des fossiles et des squelettes apparaîtraient sous de simples coups de pinceaux, mais un véritable travail de fourmi. La fouille d'un site prend des allures d'enquête policière. «Nous commençons par une prospection qui consiste à trouver les fossiles enfouis dans des environnements sédimentaires», explique Souhila. Mais la tâche ardue qui exige une attention particulière et une concentration considérable est d'extraire ces fossiles en utilisant des outils spéciaux. «nous appelons ça une fouille systématique basée sur le quadrillage et le relevé des fossiles découverts», précise -t-elle. L'équipe de chercheurs devra donc récupérer un maximum d'informations permettant, à tout moment, de reconstituer la disposition des vestiges sans pour autant abîmer les fossiles trouvés. Elle nous a informé également sur une fouille qui se déroule actuellement sur un site préhistorique, «Kef Dahmouni», qu'elle dirige dans la région de Tiaret, et d'autres fouilles importantes menées par des chercheurs du CNRPAH. Transport des fossiles Cette étape consiste à identifier les fossiles découverts une fois transportés vers le laboratoire, la patience est la clef de la réussite dans ce travail. «Dès que les restes arrivent dans le laboratoire, nous entamons l'identification de ces fossiles, en étudiant leur anatomie, leur taxonomie, autrement dit identifier le taxon, l'espèce, et essayant d'estimer l'âge et du sexe (mâle ou femelle) quand cela est possible», précise-t-elle. Une étape complexe qui incite les paléontologues à travailler en équipe, où chaque membre apporte sa propre spécialité entre archéologues, géologues et préhistoriens ; cette étape mettra du temps pour pouvoir arriver à un résultat précis. «Nous travaillons dur pour identifier et déterminer les fossiles, car ce n'est pas une tâche aisée quand il s'agit des fossiles qui datent de centaines milliers d'années», relate Samia Aouimeur, préhistorienne et lithicienne au CNRPAH. Elle ajoute aussi que le personnel de recherche «doit être très important, c'est pourquoi nous cherchons à transmettre ce flambeau à la jeune génération de diplômés dans le domaine de la recherche préhistorique, anthropologique et historique, intéressés par une vie de recherche passionnante et mystérieuse.» Analyse des données Pour que les fossiles nous révèlent tous leurs secrets, nos chercheurs paléontologues quantifient les restes. Pour comprendre dans quelles conditions climatiques vivaient ces animaux et bien d'autres, ils reconstituent le paléoenvironnement et le paléoclimat. «Cette discipline se nomme l'archéozoologie, l'étude va concerner plus précisément la relation entre l'homme et l'animal ; par exemple, la chasse, la domestication, l'utilisation des restes osseux et la matière dure d'origine animale pour la confection de parures ou d'outils», indique Souhila. Diffusion des résultats Une fois que les fossiles sont préparés et soigneusement étudiés, il est temps de publier les résultats dans les supports éditoriaux du CNRPAH, ainsi que dans des revues internationales. Des livres et des articles sont destinés au grand public, y compris les expositions pour les musées. Cependant, la diffusion de ces merveilles, qui cachent bien une histoire avant l'histoire, demeure très limitée à des revues scientifiques hyper spécialisées dans le domaine. «Il y a un manque important de reportages et d'articles quant aux découvertes préhistoriques en Algérie», déplore Souhila. En effet, la couverture médiatique des découvertes de fossiles préhistoriques sur notre territoire national est très restreinte, et c'est dommage, car notre pays est encore un vaste champ aux trésors de l'histoire humaine ; une médiatisation plus importante donnera plus de dynamisme aux recherches dans ce domaine prestigieux.