La carie dentaire chez l'enfant scolarisé fait de la résistance depuis vingt ans, âge du programme national de prévention buccodentaire. Le ministère de la Santé lance un programme complémentaire basé sur l'apport en fluor. Explications sur pourquoi l'échec menace... Une récente instruction interministérielle se propose de lancer un programme pour la prévention de la carie dentaire en milieu scolaire basée sur la consommation du fluor des 5-8 ans de plus de 20 kg. Il s'agit d'utiliser le dispositif des unités de dépistage et de suivi (UDS), pour distribuer à toutes les classes ciblées des comprimés de fluor. Cette campagne nationale Fluor est présentée de l'instruction ministérielle comme complémentaire aux actions déjà engagées dans la prévention de la santé buccodentaire. Outre le fait qu'elle a été décidée de manière bureaucratique à trois semaines des grandes vacances scolaires, la campagne Fluor suscite une série d'interrogations sur son importunité prophylactique : sur quelle enquête épidémiologique évaluant la carence en fluor s'appuie la décision ministérielle d'administrer le fluor en comprimés à tous les enfants scolarisés de 5-8 ans ? Quelle évaluation a été faite du programme national de la prévention de la santé buccodentaire tel qu'il est conduit aujourd'hui, a-t-on cherché à en cerner les limites et les causes d'échec avant de proposer un programme complémentaire ? 16 ans de travail sur le terrain dans la prévention buccodentaire m'amènent à prévenir aujourd'hui d'un échec annoncé de la campagne Fluor telle qu'elle est engagée. Le moteur de la prévention de la santé buccodentaire depuis le lancement de la campagne nationale en 1985 aura été la motivation des enfants scolarisés pour la pratique quotidienne du brossage dentaire. Il faut admettre aujourd'hui un échec relatif sur ce front. Des statistiques montrent que la fréquence de la carie dentaire des classes ciblées (1e, 2e, 4e AF, 1re AM et 1re AS) n'est pas en baisse : pour exemple, toujours 2,7 caries par élève dans la circonscription des Anasser depuis 1994. Pourquoi de tels résultats ? Jamais les praticiens du terrain n'ont été méthodiquement mis à contribution pour identifier les raisons de la résistance de la carie dentaire en milieu scolaire. Vu notre activité de suivi hebdomadaire des enfants, nous sommes plusieurs praticiens à considérer que la motivation des seuls enfants ne suffit pas. L'acte du brossage dentaire au quotidien exige des réflexes et une discipline qui requièrent « une intervention parentale ». La mise à l'écart des parents, voilà selon nous le talon d'Achille du travail de la prévention tel qu'il a été conduit jusqu'à aujourd'hui. La nouvelle campagne Fluor ne tient aucunement compte de cela ! Elle utilise le même canal de la motivation des enfants dans leur milieu scolaire par la visite des chirurgiens dentistes d'UDS. Or le rôle des parents est encore plus central dans l'acte thérapeutique d'attribution du comprimé fluor. Il requiert encore plus leur implication. Certes l'instruction interministérielle prévoit la convocation des parents en vue de leur expliquer l'intérêt de l'apport en fluor pour leurs enfants et leur remettre gracieusement tous les mois les doses de comprimés qu'ils doivent administrer à leurs enfants. Notre expérience du terrain nous laisse très sceptiques sur l'efficacité de ce seul procédé. Une campagne pour un apport en fluor est-elle pour autant tout à fait inutile dans la prévention de santé buccodentaire en Algérie ? Une enquête épidémiologique qui reste à réaliser peut en affiner le besoin (milieu urbain, milieu rural, habitudes alimentaires, etc.). Il reste que le succès d'une telle campagne repose sur un travail de sensibilisation beaucoup plus systématique de la société et des parents en particulier. Un travail qui dépasse de loin les moyens étriqués de la seule approche par le milieu scolarisé tel qu'il s'est développé depuis 20 ans. La culture de l'hygiène buccodentaire n'existe pas en Algérie ! C'est la réalité mal perçue sur laquelle ont buté 20 années de travail de la prévention en milieu scolaire. La campagne Fluor telle qu'elle vient d'être improvisée (démarrage en fin d'année scolaire, retard du volet médiatique, impréparation logistique...) ne tient plus compte de cette réalité de départ. Il est encore temps d'éviter l'impasse de ce nouveau programme. Son succès appelle d'abord la mobilisation de tous les acteurs de la prévention sur la base d'une visibilité plus grande des actions à mener. Il requiert une bien meilleure préparation. On ne peut pas bâtir sur un échec non diagnostiqué. Le message perçu dans la précipitation d'aujourd'hui est que nous allons vaincre la carie chez l'enfant en substituant le comprimé de fluor aux brossages dentaires. Une bonne hygiène buccodentaire repose sur l'un et l'autre. Cela implique un changement d'échelle dans la politique de la prévention de l'Etat en lieu et place d'une excitation pré-estivale en vue d'écouler des surstocks de comprimés fluorés. Par Dr Aït Yala Djamila. Chirurgien-dentiste Secteur sanitaire de Kouba