Les femmes subissent l'hostilité et l'agressivité de l'environnement dès qu'elles mettent le pied dehors. Sur mes gardes, toujours.» A peine sortie de chez elle, le matin, Feriel se sent oppressée, «harcelée» de toutes parts. «Il y a évidemment les regards insistants, lubriques ou méprisants. Les ‘Allah ibarek' et autres remarques déplacées, sans oublier les propos obscènes et autres indécences», relate la jeune fille, qui se décrit pourtant comme «quelconque». «Il est clair que c'est ‘soft' comparativement aux autres types d'agression. Mais qu'est-ce qui donne le droit à un homme, qui a parfois l'âge de mon père, de m'envahir en me jetant à la figure ce qu'il pense de moi ?», s'énerve-t-elle. Anecdotique, comme certains pourraient l'avancer ? Non, tant elles sont nombreuses à vivre avec ce perpétuel sentiment d'inconfort, voire d'insécurité, dès qu'elles mettent un pied dehors. «C'est infernal, vraiment. Dans la rue, dans les transports en commun…», déplore Nawel. -Cette trentenaire aux longs cheveux auburn slalome plus qu'elle ne marche, les mains dans les poches de son long manteau, en jetant de temps à autre des regards autour d'elle. «Le pire est dans le bus. On vous effleure, parfois on vous palpe carrément et, lorsque vous criez, on vous crache que vous n'êtes qu'une moins que rien, que vous l'avez cherché parce que vous ne portez pas le foulard !», s'indigne-t-elle. Pas évident, puisque même le voile n'éloigne pas ces harcèlements. «Ah non, j'ai pu constater que depuis que je porte le foulard, rien n'a changé, les embêtements sont exactement les mêmes», répond Amel, 25 ans. Alors, dans cette «jungle», elles ont développé des «instincts». Il y a d'abord l'apparence. «Je fais en sorte de passer inaperçu. J'ai toujours un long gilet et une écharpe», explique Chanez, la trentaine. Eviter les endroits isolés, mais aussi les places où il y a un attroupement et choisir ses heures de sortie. Eviter les contacts visuels de peur que ce soit compris comme une invitation ou une provocation. Affûter son ouie et presser l'allure dès que des bruits de pas se rapprochent. Baisser le regard. Faire celle qui n'entend rien. Se faire la plus discrète qui soit. Vouloir «disparaître». Car vient le jour où elles font tout pour éviter ces tracas quotidiens, cette pesanteur. «Je m'interdis beaucoup de sorties à cause de ça. Que l'on soit au volant ou à pied, on n'y échappe pas !», insiste Naïma, la trentaine. «Rien que tout à l'heure, j'ai dû fuir un événement parce qu'un gamin, 16 ans maximum, me suivait pour me mettre la main aux fesses !», ajoute-t-elle. «Je me suis faite agresser assez violemment à deux reprises parce que je suis une femme, que je n'ai le droit de ne rien dire et de ne rien faire. D'ailleurs, la police a tenté de me dissuader de porter plainte les deux fois», enrage la jeune femme. Selon elle, la société algérienne n'a toujours pas accepté la présence féminine dans l'espace public. «Le pire est que beaucoup d'hommes prennent ce genre de situation pour des cas isolés et se permettent de dire que les femmes dramatisent leur situation en Algérie. Je ne suis pas d'accord, de quel droit vient-on nous importuner ?», conclut-elle. «Est-ce que le fait que je sois dehors fait que je sois à la portée de tous ? Que je sois du ‘domaine public' à un point tel que le premier venu puisse m'atteindre avec ses remarques ?», s'indigne quant à elle Feriel. Queue de poisson et aboiements On pourrait penser qu'être en voiture épargnerait de tels «désagréments» aux femmes. Que nenni… «Je travaille dans la banlieue d'Alger et je fais plus 40 km par jour pour rejoindre mon lieu de travail», raconte Naïma. «Je me fais suivre en voiture, j'ai droit aux ‘latin-lovers du dimanche' qui sont capables de devenir hargneux si l'on ne répond pas», se plaint-elle. «J'ai remarqué l'agressivité de certains hommes, surtout les jeunes, lorsque je conduis. Je ne sais pas si c'est pour me faire peur ou pour me dire que ma place, en tant que femme, n'est pas au volant», souligne Samia. «Souvent, lorsque je suis sur la route, je devine, après coup, que c'est un homme que je viens de doubler. Certains le prennent mal et n'hésitent pas à me faire une queue de poisson… Je ne pense pas que si j'avais été un homme, la réaction aurait été aussi violente et que j'aurais d'ailleurs eu le droit au ‘baiser volant' qui s'ensuit», raconte, avec un haut le cœur, Lamia. «J'ai même eu à essuyer des grognements et des aboiements, tout cela parce que je n'ai pas laissé un énergumène griller la file d'attente en voiture», s'attriste-t-elle. Dans la rue et sur la route. Et sur leur lieu de travail ? «Je suis cadre commerciale et j'ai parfois des problèmes avec mes clients. Certains préfèrent traiter avec un homme parce que plus disponible, tandis que d'autres pensent que je suis à leur disposition», confie Rachida avec un clin d'œil entendu.