Une fiction et un documentaire viennent évoquer l'histoire de ce mouvement... Au lendemain d'un été d'émeutes à Vaulx-en-Velin, en banlieue lyonnaise, un noyau de jeunes des Minguettes, soutenu par un curé, le père Christian Delorme, à peine plus âgé qu'eux (33 ans) et le pasteur Jean Costil, décident de réagir à la vague de crimes racistes qui visent des franco-maghrébins, ciblés par une police française encore empreinte d'idéologie coloniale. En juin 1983, Toumi Djaïdja, future figure emblématique de la Marche, est atteint d'une balle par un vigile alors qu'il s'interposait dans une rixe. Il survit miraculeusement et crée l'association «SOS-Avenir Minguettes», matrice d'un mouvement antiviolence nourri de l'action de deux icônes mondiales, Martin Luther King et Gandhi, avec le désir d'une seule arme : la non-violence en réponse à la violence raciste. Ils se décident à marcher et à tendre une main fraternelle à cette France qu'ils ignorent et qui les ignore. Ils seront 9 aux Minguettes, 30 à Marseille, puis, miracle, 100 000 à Paris, le 3 décembre 1983. Cet acte fondateur de l'émergence des enfants d'immigrés sur la scène politique française donne lieu aujourd'hui à une commémoration qui se décline à travers films, articles, livres, émissions… La scénariste, Nadia Lakhdar, bataille depuis dix ans pour produire une fiction avec un casting qui connaîtra plusieurs désistements… L'implication de Djamel Debbouze et l'arrivée d'Europacorp, le mastodonte de Luc Besson, donneront vie à La Marche de Nabil Ben Yadir. Le film est sorti le 27 novembre sur 450 écrans en France. Le public, amnésique de cet épisode de l'histoire, sera-t-il au rendez-vous ? Toute la question est là. D'une durée de deux heures, ce n'est pas une reconstitution, loin de là. Les auteurs ont pris beaucoup de libertés avec les faits pour créer, in fine, une œuvre où la fiction imprime ses normes. La réussite est au rendez-vous tant les personnages ont de l'épaisseur psychologique et de la crédibilité. Le recours à la véritable histoire irrigue avec justesse les dialogues et les situations dans un film qui génère, tantôt drôlerie (mais oui !) émotion, conflits internes, idylles amoureuses… Certains esprits malveillants verront, ici ou là, une certaine naïveté, oublieux du message généreux qui a fini par émerger. Signalons également, au chapitre documentaire, le remarquable La Marche, chronique des années beurs de l'algérienne Samia Chala, sans doute avec Malek Bensmaïl, une de nos meilleures documentaristes. En 52 minutes, elle analyse en profondeur les causes et les ratés du phénomène de la Marche dont le slogan «pour l'égalité et contre le racisme» a été dévoyé avec la création de SOS Racisme par le Parti socialiste qui a oublié, en route, le credo de l'égalité sociale. Les deux films montrent l'importance de la Marche, même si les acquis sont restés maigres (seule obtention de la carte de dix ans pour les étrangers). Les «beurs» sont demeurés marginalisés et, 30 ans après, les années 2000 ont consacré le repli identitaire, l'exclusion, le chômage, l'échec scolaire et surtout une ghettoïsation qui a produit la communautarisation avec des barres «blacks» ou des immeubles totalement maghrébins. Au lendemain de la Marche, la France républicaine a raté le tournant du brassage qui était au cœur de ce mouvement. L'amorce de la régression actuelle s'inscrit dans une suite de ratages qui font craindre qu'un jour la main tendue des marcheurs, non saisie par les politiques, se transforme un jour en un bras tendu !