Une centaine de tailleurs de pierre sont décédés dans la région des Aurès depuis une dizaine d'années. L a Direction de la santé et de la population de la wilaya de Batna a organisé, en collaboration avec l'Organisation mondiale de la santé (OMS), des journées d'étude sur «La prévention de la silicose chez les tailleurs de pierre», les 7 et 8 décembre à Batna. Ces journées s'inscrivent dans le cadre des actions à mener pour lutter contre cette maladie qui a décimé plus d'une centaine de tailleurs de pierre depuis son apparition dans les Aurès en 2001, notamment dans la région de T'kout (90 km au sud-est du chef-lieu de wilaya). Le but de cette rencontre, à l'instar des autres actions, reste néanmoins flou pour la plupart des intervenants et participants. Les échanges, parfois houleux, lors des débats sur le rôle qui incombe aux médecins présents en sont le parfait exemple. «Nous sommes des médecins. On ne peut pas réfléchir à la place des autres parties prenantes dans ce problème de santé publique », a déclaré le docteur Hamizi. Le témoignage poignant et douloureux de deux tailleurs de pierre en exercice a mis en exergue tout le décalage entre la réalité du terrain et les discussions quasi théoriques que certains pensent bénéfiques. Selon les deux artisans, les tailleurs de pierre pratiquent leur métier hors de tout cadre légal. La prise en charge des malades à l'hôpital d'Arris, établissement le plus proche de leur lieu de résidence, est refusée dans la majorité des cas. La mise à disposition de cabines ventilées reste au stade de promesse et les bouteilles d'oxygène pour les soins à domicile sont parfois livrées par les bennes à ordures de l'APC ! Par ailleurs, ces artisans sont aussi en proie à toutes les arnaques. Un exemple édifiant est le lavement broncho-pulmonaire proposé par des cliniques en Tunisie que dénonce le professeur Djebbar. Selon lui, ce procédé ne sert strictement à rien dans cette pathologie : «Ils dépensent l'équivalent de 20 millions de centimes pour rien du tout, sans compter la très forte douleur provoquée par cette manipulation.» Devant un tel constat, on ne peut qu'être choqué par la dissonance entre les discours des parties concernées. Un gouffre sépare encore la réalité et le quotidien de ces tailleurs de la mort avec toute initiative des autorités publiques. En ce sens, maître Kouceila Zerguine, avocat et membre de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'homme (LADDH), dénonce l'inefficacité de telles rencontres et affirme que la situation a besoin d'actions sur le terrain. «Les gens se meurent. On n'a pas besoin de réunion de soi-disant experts, qui ne débouche sur rien, sauf des généralités», s'est-il indigné. Une opération de distribution de 1000 masques est prévue par la LADDH au niveau de tous ses bureaux de wilaya, nous informe le défenseur des droits de l'homme. Dépistage et surveillance épidémiologiques Les recommandations établies à la fin de ces journées d'étude font état de deux grands axes à suivre dans la prévention et le dépistage de la silicose : la nécessité d'une approche intersectorielle pour la protection des tailleurs de pierre et l'élaboration d'un avant-projet de programme consensuel de dépistage et de surveillance épidémiologiques. Selon les explications du docteur Madji, représentante de la DGPPS, l'amélioration des conditions de travail des tailleurs de pierre est une priorité absolue : «On doit d'abord intervenir sur la cause même de cette maladie, faire en sorte de protéger l'artisan de la poussière de silice par une prévention primaire et ce, avec le matériel adéquat, une formation professionnelle et une sensibilisation.» Et d'ajouter : «Chaque secteur doit s'investir. A titre d'exemple, l'organisation du métier. Il faut qu'il y ait un contrôle des carrières et une exploitation normalisée.» Interrogée sur l'applicabilité de telles recommandations, la représentante de la DGPPS a affirmé que tout ce qui a trait à la prise en charge a été noté et que cette dernière doit impérativement être améliorée, mais que ces journées d'étude concernent uniquement la prévention contre cette maladie. Toujours selon notre interlocutrice, le décret exécutif du ministère de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière datant de septembre 2010, relatif aux mesures particulières de prévention et de protection des risques des travaux de taillage et de polissage des pierres est exhaustif, et aborde tous les phénomènes et préoccupations en rapport avec cette activité. «Le décret a tout abordé de manière générale. Chaque secteur est en mesure de développer les réflexions qu'il faut en s'appuyant sur le texte de base», a-t-elle expliqué. Il est à noter que lors des ateliers de réflexion sur les mesures à prendre, aucun représentant des tailleurs de pierre n'a été convié ! Une absence significative qui dénote le décalage entre action et discussion.