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«Si l'ANP avait failli à Tiguentourine, des armées de location auraient envahi le Sud» Mansour Lakhdari. Politologue, enseignant à l'Ecole supérieure de sciences politiques
- En 2014, le budget de la Défense passera à 12,7 milliards de dollars. Est-ce justifié ? Pour appréhender le sujet du budget de la Défense 2014, il faudrait le replacer d'abord dans le contexte géo-sécuritaire dans lequel évolue l'Algérie aujourd'hui. L'Algérie a des frontières avec sept pays. Ces pays connaissent presque tous des troubles sécuritaires et certains ont vu même leurs Etats s'effondrer. Avec le Maroc, la menace traditionnelle, active et permanente depuis la guerre des Sables. En Libye, il n'y a plus d'Etat. En Tunisie, l'Etat central trouve des difficultés à maîtriser la situation sécuritaire. Au Mali, ça été aussi l'effondrement de l'Etat, surtout au nord où il est quasi inexistant. La Mauritanie quant à elle demeure un Etat faible. Ce qui veut dire que l'Algérie est contrainte de déployer un effort double. Contrôler ses frontières et suppléer en parallèle au vide créé par le défaut de contrôle chez le voisin d'en face. Ajoutez à cela la prolifération des armes libyennes dont on ignore encore les quantités exactes disséminées dans la région. On sait qu'il ne s'agit pas d'armes lourdes mais d'armes légères, facilement utilisables et transportables, mais dont la nuisance est grande. Comme ces missiles Sam 7 pouvant constituer un danger potentiel pour l'aviation civile. C'est à partir entre autres de ces arguments que l'Algérie a fait le choix de démultiplier son potentiel de défense et de sécurité afin de faire face au chaos sécuritaire dans la région.
- Pensez-vous que la situation de chaos sécuritaire aux frontières puisse achopper de révisions déchirantes en matière de cette doctrine de défense ?
L'Algérie refuse d'engager son armée par-delà ses frontières. Et à travers Tiguentourine se profile peut-être, et à première vue, une tentative pour amener l'Algérie à renoncer à sa doctrine défensive. La prise d'otages de Tiguentourine a eu lieu une dizaine de jours après que certains médias aient fait état de la décision de l'Algérie d'ouvrir son champ aérien à l'aviation française pour bombarder le nord du Mali. Tiguentourine était présentée comme une «opération de représailles» des groupes terroristes pour faire payer à l'Algérie son soutien à Serval. Je m'interroge toutefois : est-ce possible de mettre au point en seulement dix jours une opération de cette envergure, aussi complexe ? Et c'est toute une symbolique que charriait le choix de l'objectif : un complexe gazier. La principale ressource du pays. Sans oublier les nombreux dommages collatéraux infligés aux partenaires de l'Algérie.
- Qui sont d'après vous les parties qui profiteraient d'une éventuelle implication de l'armée algérienne hors de ses bases ?
Considérant ses ressources et potentiel économique, la nature de son Etat, eut égard à son armée, à sa position géographique charnière dans la région, l'Algérie est perçue comme la puissance de la région. Pour les Etats-Unis et la France notamment, l'Algérie est incontournable dans la lutte contre le terrorisme que ce soit en Afrique du Nord ou dans le Sahel. Je m'interroge : qui a intérêt à pousser au pourrissement dans une région sahélo-saharienne sinon les grandes puissances intéressées qu'elles sont par le contrôle de cette importante voie de passage et par les ressources naturelles et potentiel minier qu'elle recèle. La présence chinoise dans la région exacerbe aussi les intérêts américains et notamment de la France, l'ancienne puissance colonisatrice.
- Pensez-vous qu'après Tiguentourine, il y a une réflexion pour revoir et réactualisé le concept de défense ?
A Tiguentourine, des étrangers avaient été pris pour cible. Si le scénario était autre, si le groupe terroriste avait réussi son opération, les puissances occidentales partenaires de l'Algérie auraient exigé la privatisation de la sécurité, prélude à l'implantation des entreprises de sécurité étrangères pour en finir avec le déploiement de quelques-unes de ces armées de location qui assurent la défense de certains Etats du Golfe. Si l'Etat avait failli lors de Tiguentourine, les conséquences auraient été lourdes. Indépendamment des suites opérationnelles, sur le commandement, la structure des unités auxquelles je suis profane, Tiguentourine a renforcé la position de l'Algérie par rapport au non-paiement et la rançon ou même l'ouverture de négociations avec les groupes terroristes.