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«Les drones ne peuvent pas venir à bout des raisons sociales et économiques qui alimentent le terrorisme» Majed Nehmé, directeur du magazine Afrique Asie, au Temps d'Algérie à propos du Sahel :
Dans cet entretien accordé à notre journal, Majed Nehmé, directeur du magazine Afrique Asie, évoque l'annonce d'un probable déploiement de drones américains au Sahel, non loin des frontières algériennes. Il évoque également la situation sécuritaire en Tunisie et en Libye et les répercussions sur l'Algérie. Majed Nehmé revient d'autre part sur l'assaut donné par les forces spéciales de l'Armée nationale populaire (ANP) contre les preneurs d'otages à la base vie de Tiguentourine, à In Aménas, et son impact sur la lutte antiterroriste. Le Temps d'Algérie : Le quotidien américain Wall Street Journal a annoncé que les USA envisagent de déployer des drones au Sahel pour «tuer» Mokhtar Belmokhtar. Assiste-t-on, selon vous, à un nouveau Yémen ou à un nouveau Pakistan au Sahel ? Majed Nehmé : Je ne le pense pas. Les situations sont très divergentes. Le Sahel, c'est un immense espace qui s'étend sur plus de huit millions de kilomètres carrés et comprend plusieurs pays. C'est un espace historiquement connu pour être un lieu de passage de tous les trafics et qui s'est transformé avec le temps, mondialisation oblige, en plaque tournante du trafic de drogue, désormais utilisée par les narcotrafiquants latino-américains. Or, pour contrôler et arrêter ce trafic sur lequel s'est greffé le terrorisme, rien ne vaut des renseignements fiables – particulièrement humains – à tous les niveaux. Ni les satellites de renseignement ni les drones ne sont en mesure de remplacer l'élément humain, même s'ils peuvent apporter une précieuse contribution à la lutte contre le terrorisme et les trafics. Au Yémen et en Pakistan, les drones «tueurs» ont souvent raté leurs cibles, causant des dégâts collatéraux (attaques meurtrières de caravanes civiles, de mariages tribaux) qui retournent l'opinion contre leurs utilisateurs. A ma connaissance, Oussama Ben Laden n'a pas été tué par un drone. Ces mêmes drones, aussi perfectionnés soient-ils, n'ont pas réussi à localiser les principaux chefs des talibans, et en premier lieu le mollah Omar. On n'a pas besoin d'un drone pour localiser le terroriste Mokhtar Belmokhtar ou autre, mais d'une bonne base de renseignements, d'une infiltration de ces groupes de narco-terroristes et, surtout, de ne pas les aider en leur payant des millions de dollars à titre de rançons. Le combat contre Belmokhtar et la nébuleuse terroriste et mafieuse est certes sécuritaire, mais aussi global. J'entends par là : s'attaquer aux causes qui rendent prospères ces pratiques, assécher le milieu favorable qui assure la protection de ces terroristes. Il faut être implacable contre le terrorisme, mais tout aussi implacable contre les raisons sociales, idéologiques, économiques et politiques du terrorisme. C'est un combat de longue haleine et de tous les jours. Les drones, à eux seuls, ne pourront venir à bout de ces causes. Y aura-t-il quand même des conséquences sur l'Algérie ? L'Algérie n'a pas attendu les derniers développements dans le Sahel (Nord-Mali en particulier) pour s'engager dans la lutte globale contre le terrorisme et ses causes. Elle est mieux placée que quiconque pour comprendre les possibles retombées des guerres du Sahel et des interventions étrangères dans cette région sur sa sécurité. Elle a déjà mobilisé plus de 35 000 hommes pour sécuriser ses frontières qui s'étendent désormais depuis deux ans avec le début du mal nommé «printemps arabe» de la Tunisie jusqu'à la Mauritanie, en passant par la Libye, le Niger et le Mali. Ce ne sont pas quelques drones, à l'efficacité stratégique douteuse, qui vont représenter une quelconque menace pour sa sécurité. Les responsables algériens sont autrement plus soucieux de la détérioration de la situation sécuritaire en Tunisie et en Libye devenues, depuis la guerre d'agression de l'Otan et de certaines monarchies du Golfe (Qatar, Emirats arabes unis), les principaux pourvoyeurs d'armes et de terroristes, non seulement vers le Mali et l'Algérie, comme on a pu le constater avec l'attaque contre le site gazier algérien d'In Amenas, mais aussi vers le Soudan, le Niger, le Nigeria et, surtout, la Syrie. L'Algérie avait depuis des années mis en garde la communauté internationale contre la menace terroriste dans le Sahel, ce ventre mou de l'Afrique. Elle était la première à s'opposer à l'agression contre la Libye, sachant la gravissime menace que ne va pas manquer de représenter le chaos libyen pour la sécurité du Maghreb, du Sahel, mais aussi pour l'Europe. Malheureusement, elle n'a pas été entendue. Il a fallu attendre l'occupation du Nord-Mali par des groupes terroristes alimentés par l'immense dépôt d'armes libyen, la menace d'effondrement de nombreux pays du Sahel, pour que ceux qui étaient à l'origine du désastre libyen se ressaisissent. Trop tard. Ces pompiers pyromanes commencent à réaliser la stupidité stratégique de leur aventure libyenne, de leur politique de complaisance avec les terroristes, et constatent que l'approche algérienne était la bonne. Ce constat a été récemment fait par le président français en personne, lors de son intervention au Parlement européen à Strasbourg il y a quelques jours en des termes on ne peut plus clairs et fermes : «Nous aurons besoin de l'Algérie dans cette région du monde (...) pour lutter contre le terrorisme (...) pour favoriser une politique de développement (...) et pour le dialogue politique, y compris avec les Touaregs», a tenu à souligner François Hollande. La même position, encore plus explicite, a été exprimée par le ministre français chargé de la Coopération, Henri de Raincourt, qui a reconnu devant le Sénat français que «l'Algérie est un pays incontournable dans la recherche d'une solution politique. C'est d'ailleurs ce pays qui a parrainé les précédents accords (d'Alger, Ndlr) et qui souhaite naturellement être en première ligne de la résolution de cette nouvelle crise. Un aveu qui vaut son pesant d'or. Pour revenir à votre question, je dirai que le lancement de quelques drones tueurs n'aura strictement aucune conséquence sur la sécurité de l'Algérie. Tout le monde a enfin compris que la solution de ces crises du Sahel ne se trouve pas dans l'envoi de troupes ou de drones, mais dans une approche globale et collective. Le fait que des chefs terroristes restent introuvables au nord du Mali justifie-t-il le déploiement de ces drones ? Absolument pas. La traque et la neutralisation de ces chefs terroristes et mafieux ne peut être que le résultat d'un travail de renseignement efficace d'un côté, et d'un retournement de l'opinion publique dans cette région contre ces malfrats de l'autre. Ce qui est en train de se produire actuellement. Le déploiement de ces drones, avec les éventuels dégâts collatéraux qu'ils ne manqueront pas de provoquer, risque de provoquer un résultat contraire à celui recherché. Assiste-t-on actuellement à une installation durable de forces militaires étrangères au Sahel ? Ces forces sont malheureusement bien présentes dans la région. Etant donné la fragilité des Etats de cette région, je crains que l'appel de ces Etats à des forces étrangères ne devienne une habitude. On l'a vu au Congo, au Soudan, en Somalie et en Côte d'Ivoire. La présence et l'intervention de ces forces étrangères n'ont rien réglé du tout. C'est malheureusement la faillite de ces Etats et de ses élites politiques qui donne un prétexte en or aux interventionnistes occidentaux.
Comment voyez-vous l'évolution des événements au Sahel ? Je suis assez pessimiste à court terme. Les causes de ces crises n'ont pas encore été éradiquées. L'effondrement des Etats du Sahel, et au-delà, va continuer à reproduire les mêmes désastres. L'exemple du Mali est criant : en pleine «reconquête» du Nord, l'armée malienne se permet de régler ses comptes entre bérets verts et bérets rouges. Les exactions contre la population des villes reconquises vont rejeter de nouveau ces populations entre les bras des mouvements rebelles. A cela, il faut ajouter que le chaos libyen – et aussi ivoirien – créés tous les deux par des forces étrangères, n'a pas encore déployé tous ses effets déstabilisateurs. Le Niger et la Mauritanie pourraient à leur tour être contaminés par ce chaos. Il faut concevoir un nouveau plan Marshall pour cette région sinistrée à la fois par la faillite de ses élites politiques soumises à l'étranger et au diktat d'une mondialisation sauvage. Quelles seront les prochaines réactions des terroristes au Sahel, selon vous? Les terroristes ont perdu, stratégiquement, la bataille. Cela ne veut pas dire pour autant qu'ils n'ont plus la capacité de nuire, d'opérer des actions suicidaires aussi nihilistes que désespérées. Mais cela ne mène qu'à leur perte assurée. Ils n'ont plus le choix qu'entre la reddition ou la mort. La réponse donnée par l'Algérie à l'assaut terroriste contre In Amenas est un tournant capital, surtout au niveau de l'opinion publique nationale et internationale qui a massivement soutenu le traitement algérien de ce fléau. Ces mouvements terroristes n'ont plus une cause crédible à défendre mais un agenda suspect au service de puissances étrangères. Un agenda qui consiste à déstabiliser et à terroriser. Mais pour que cette défaite soit complète, il est grand temps de s'attaquer aux vraies causes et aux vrais terreaux du terrorisme.