La non-retransmission de l'intégralité des matches de la Coupe du monde 2006 par la Télévision algérienne suscite un (très) large débat en Algérie. Le sujet est d'actualité (brûlante) à quatre jours de l'ouverture du Mondial allemand. Les téléspectateurs algériens qui n'ont pas le privilège de disposer d'une carte Canal + ou ART sont à l'écoute de la moindre information qui peut renforcer le maigre espoir de voir des rencontres de la Coupe du monde sur le petit écran. De ce côté, malheureusement, les nouvelles ne sont pas bonnes. Les acquéreurs des droits de retransmission de cet événement planétaire n'entendent pas laisser filer la moindre image. Avec la société (Infront) qui leur a vendu les droits, ils ont conclu un deal. Ils crypteront les images le jour J, qu'ils ont, bien sûr, choisi préalablement. L'annonce de la non-retransmission des matches par la télévision algérienne a donné lieu, fort logiquement, à un débat passionné. Il mérite (le débat) d'être cadré afin que tout un chacun soit imprégné des données de ce que beaucoup d'observateurs ont qualifié de problème. D'abord, il y a les acteurs de ce feuilleton, à savoir la FIFA, ART, la chaîne privée arabe du milliardaire saoudien cheikh Kamel Salah, et enfin l'ENTV. Le premier, la FIFA, est accusé « d'avoir volontairement lésé les pays pauvres et de collusion avec la maffia ». Le second, ART, c'est-à-dire cheikh Salah, est dénigré parce qu'il est « celui par qui le malheur est arrivé », les Algériens ne suivront pas la Coupe du monde sur le petit écran, lui l'Arabe qui détient les droits de retransmission des images de la grande fête du ballon rond et qui refuse de faire profiter, d'autres membres de la Ouma, du privilège qu'il a payé (chèrement !). Le troisième larron, c'est bien sûr la télévision algérienne qui pointera aux abonnés absents pour la première fois, depuis Mexico 1970. Revenons au rôle et à la responsabilité de la FIFA dans ce qui est arrivé. En tant que propriétaire exclusif de la Coupe du monde, elle a créé une société (Infont) qu'elle a chargée de vendre le produit au meilleur prix. Elle a besoin d'argent pour promouvoir ses actions en direction des associations nationales et du développement du football. Les sponsors étant de plus en plus nombreux et surtout plus disposés, que par le passé, à mettre le paquet, pourquoi hésiterait-elle à engranger des bénéfices ... dont une grande partie sera versée aux actions de développement de la discipline ? Aucune loi, ni règlement, ne lui interdit de capter des dividendes de ses actions en marketing et sponsoring. Demain à Munich, le congrès de la FIFA adoptera à l'unanimité le bilan financier du président de la FIFA, Joseph S. Blatter. Uniquement en droit de retransmission de la Coupe du monde 2006, la FIFA a généré, via Infront, un bénéfice de trois milliards de dollars. Le pactole doublera dans quatre ans à l'occasion de la Coupe du monde 2010 en Afrique du Sud. C'est un solde positif qui renforce la position de Joseph S. Blatter que ses ennemis avaient mis à mal au congrès de Séoul 2002, lui imputant la responsabilité dans les faillites successives de ISL et Léo Kirsh à qui la FIFA avait cédé les droits de retransmission de la Coupe du monde 1994, 1998 et 2002. Le retour au giron de la gestion des droits de retransmission de la Coupe du monde s'est révélé fructueux pour l'institution du football mondial. Pour rappel, la FIFA compte 207 membres (associations) affiliés. L'argent qu'elle récolte (marketing, sponsoring, recettes de rentrées de matches ...) prend ensuite la direction des comptes bancaires des fédérations. Elle a initié un ambitieux programme de développement du football en Afrique. Elle l'a dénommé « Plan spécial Afrique ». Son objectif : la construction d'un grand stade par pays, une appréciable contribution financière au lancement d'une ligue professionnelle dans chaque pays d'Afrique, l'organisation de stages au profit de l'encadrement technique et administratif des fédérations ainsi que d'autres actions, sans oublier le projet-goal (une aide de un million de dollars pour la construction du siège de la fédération ou d'un centre de regroupement). Passons à ART de cheikh Salah. En l'espace de quelques jours, le propriétaire de la chaîne ART est devenu « l'ennemi public » numéro un des Algériens, celui par qui le malheur est arrivé. Son obstination à ne pas vendre les droits de retransmission de la Coupe du monde 2006, qu'il a acquis auprès d'Infront, a provoqué la colère et l'incompréhension des téléspectateurs algériens férus de football. Unique détenteur des droits de retransmission de la Coupe du monde 2006, 2010 et 2014 pour le Maghreb et le Moyen-Orient, cheikh Salah ne veut pas baisser sa garde et mettre en danger la survie de son entreprise axée sur la commercialité. Lorsque la FIFA, via Infront, a lancé son appel d'offres pour la vente des droits de retransmission de la Coupe du monde en 2002, cheikh Salah a fait la meilleure offre pour acheter les droits de retransmission de la Coupe du monde 2006, 2010 et 2014. Les télévisions arabes regroupées au sein de l'ASBU ont fait une offre à Infront. Elle était de l'ordre de 85 millions de dollars. Le propriétaire de ART a fait une offre, de loin, supérieure à celle de l'ASBU et décroché le marché. Une fois les droits acquis, ART a sollicité ses potentiels clients pour la revente des droits de retransmission à travers l'acquisition des cartes mises sur le marché arabe. Vendre les images de la Coupe du monde en contrepartie de millions de dollars ne fait pas partie de sa stratégie commerciale. Le crypté étant sa raison d'être, ART veut soumettre ses clients à sa démarche. Pas d'images de la Coupe du monde sans carte ART. C'est le marché proposé par le Saoudien. Cheikh Salah s'est inspiré, dans sa stratégie de conquête du marché (juteux) de la télévision, de l'exemple de Canal + (France ). Le tollé qu'a soulevé ART en Algérie est, quelque part, mal venu, dans la mesure où il est (ART) dans ses droits ...qu'il a acquis à plus de 90 millions de dollars. Cette pratique est généralisée un peu partout dans le monde. Pourquoi ART se priverait-elle de ce droit ? Ce n'est pas les télévisions arabes qui la dévieront de sa voie mercantile. Concernant ses rapports avec la télévision algérienne en matière de retransmission de rencontres de football et de services, ART verse à l'unique 7000 dollars par match retransmis, alors qu'il ne cède que 2000 dollars aux autres télévisions arabes. Pour le championnat d'Algérie, ART concède un demi-million de dollars à l'ENTV. C'est un petit pactole, peut-être, mais ce n'est pas rien dans le contexte actuel du football algérien. Cet épisode de la Coupe du monde nous renseigne, un peu mieux, sur tout le bénéfice qu'aurait engrangé la télévision algérienne si elle avait acquis les droits de retransmission via un sérieux effort financier de l'Etat algérien. Elle les aurait rétrocédés à des partenaires et renfloué ses caisses, au lieu de rester à la merci de cheikh Salah. Ce dernier, imperturbable, ne veut pas entendre parler de faveurs au profit d'une télévision au détriment d'une autre ... comme le lui suggèrent beaucoup de conseillers en panne d'imagination. Lui, il sait que s'il ouvre la porte une seule fois c'est tout son empire de la télévision qui repose sur le pay per view qui s'écroulera.