La trajectoire exceptionnelle d'une élève studieuse vers les cimes de la gloire littéraire. C'est un lieu commun de rappeler qu'Assia Djebar a été plusieurs fois sélectionnée pour le prix Nobel de littérature. Sans chauvinisme, l'académicienne mérite cette distinction que ses lecteurs ne cessent pas d'espérer. En effet, son œuvre est tellement riche qu'il ne se passe pas une année sans qu'on ne lui consacre des colloques, des journées d'étude ou des rencontres littéraires. C'est dans la perspective de regrouper les spécialistes de son œuvre que Le Cercle des Amis d'Assia Djebar a vu le jour en 2009. Cette société savante est à l'initiative d'Amel Chouati. Pour donner un prolongement éditorial à cette connaissance très pointue de l'œuvre d'Assia Djebar, le cercle a publié un ouvrage collectif très intéressant, intitulé Lire Assia Djebar, activement soutenu par les éditions La Cheminante*. Amel Chouati explique d'emblée la démarche qui a présidé à la genèse de ce livre : «Dix lecteurs aux références géographiques, épistémologiques, culturelles et artistiques plurielles ont été conviés par Le Cercle des Amis d'Assia Djebar à écrire librement l'intimité de leurs lectures de l'œuvre de la romancière, sous la forme d'une expression choisie par eux. Nous verrons rassemblés des récits autobiographiques, des textes littéraires et cliniques, reliés entre eux par des poèmes et des photographies d'une œuvre picturale ainsi que des extraits de l'œuvre de la romancière choisis par les auteurs». Les dix contributeurs sollicités insistent tous dans leur hommage sur la fonction inspiratrice de l'œuvre d'Assia Djebar sur leur travail et leur vie quotidienne. La force des mots de l'écrivaine irrigue par leur vigueur la création artistique qui épouse beaucoup de supports. Ainsi, Anne Marie Carthé, artiste-peintre et poétesse, s'empare des romans d'Assia Djebar pour produire une œuvre picturale qui transmet des émotions et retranscrit l'admiration sans fin qu'elle porte à l'académicienne. De son côté, Hervé Sanson propose aux lecteurs un parcours très intéressant dans les dédales des romans d'Assia Djebar en axant son intervention sur L'amour, la fantasia, Vaste est la prison et Nulle part dans la maison de mon père. Cette contribution permet aux lecteurs de découvrir les multiples facettes de cette œuvre et les différentes thématiques qui la traversent. Une autre caractéristique distingue l'œuvre d'Assia Djebar, c'est la poésie qui l'habite. Les romans se donnent à lire comme un long poème que l'on doit déclamer à haute voix. Patrick Potot, qui est comédien-lecteur, a compris que cette œuvre se prête à merveille au support de la voix. Nous pensons surtout au roman Les nuits de Strasbourg qui est un modèle du genre. Parmi les thématiques récurrentes dans l'œuvre de l'écrivaine, il y a le couple. Dans une société traditionnelle où les relations entre les deux sexes sont complexes, Assia Djebar travaille sur l'incommunicabilité et l'incompréhension qui règnent dans le couple, sapant ses fondements et l'auteur de la contribution choisit Les enfants du nouveau monde pour illustrer son propos. Ce roman, qui coïncide avec l'indépendance de l'Algérie, annonce déjà les grandes mutations de la société algérienne. Le contributeur conclut en écrivant : «Ses fictions recèlent des architectures intimes et mobiles car elles donnent hospitalité à des rêves d'intimité, de solidarité et de liberté entre les hommes et les femmes partout». Anne Donadey, qui enseigne aux Etats-Unis, doit beaucoup à l'œuvre d'Assia Djebar dans la redécouverte de l'histoire de France et particulièrement celle liée à l'époque coloniale. Cet hommage confirme le rôle du roman dans la vulgarisation de l'histoire. Amel Chaouati, qui a dirigé cet ouvrage collectif, raconte comment Assia Djebar a changé sa vie et sa perception des choses liées à sa culture d'origine en tant qu'algérienne et aussi comment une telle œuvre aide à supporter les affres de l'exil. L'écriture d' Assia Djebar voyage bien à travers le monde, trouvant des points d'ancrage jusqu'au Japon. Kiyoko Ishikawa parle de son expérience de traductrice du français au japonais du roman L'Amour, la fantasia et la manière dont cette œuvre majeure a été accueillie dans l'univers nippon. Par ailleurs, les romans d'Assia Djebar ont aussi des résonances chez des écrivains comme Abdourahman Waberi surtout dans la manière d'employer les figures féminines dans les romans. La dernière œuvre d'Assia Djebar, intitulée Nulle part dans la maison de mon père, constitue une sorte de couronnement d'un parcours exemplaire. C'est dans cet ordre d'idées que Max Véga-Ritter analyse la trajectoire d'une élève studieuse qui se fraye un chemin vers les cimes de la gloire littéraire. Sonia Amazit, jeune femme née en France de parents algériens, comprend, grâce à l'œuvre d'Assia Djebar, que la femme algérienne n'est pas ce qu'en disent les clichés en Occident. Les héroïnes des différents romans sont des révolutionnaires et des femmes révoltées. Enfin, Wassyla Tamzali propose un éclairage sur l'œuvre cinématographique d'Assia Djebar la plus connue, à savoir Nouba des femmes du mont Chenoua. La contributrice donne aux lecteurs des extraits du scénario original du film pour voir la progression du travail de l'auteure-cinéaste. Cet ouvrage-hommage est d'une grande utilité pour les spécialistes, les profanes et une invitation à lire et relire Assia Djebar. * «Lire Assia Djebar», ouvrage collectif coordonné par Amel Chaouati. Ed. La Cheminante, 2012.