Le délai de deux ans accordé par le ministère de l'Intérieur aux associations pour se conformer aux dispositions de la nouvelle loi 12/06 a expiré hier. Les associations, elles, dénoncent des abus et réclament l'abrogation de cette loi. L'ultimatum accordé aux associations pour se conformer à la nouvelle loi 12/06 relative aux associations a officiellement expiré hier. Pour le moment, le département des associations au ministère de l'Intérieur ne communique toujours pas. Selon la loi, toutes les associations devaient à nouveau réunir une assemblée générale, installer de nouvelles instances et déposer un nouveau dossier, sous peine de se voir dissoutes après saisie du tribunal administratif. Les associations ayant demandé un agrément et n'ayant reçu aucune réponse ont entamé depuis plus d'une semaine une large campagne de sensibilisation pour exiger son abrogation. Un comité, ouvert à d'autres adhésions, a été installé samedi dernier par une trentaine d'associations (Etoile culturelle d'Akbou, la Ligue pour la défense des droits de l'homme de Béjaïa, Amnesty International...). Ce comité est chargé d'élargir la mobilisation et de préparer des assises de la société civile pour étudier les moyens d'abrogation de cette loi. Il est aussi appelé à se connecter avec toutes les autres associations dans le pays pour arriver à un espace de concertation national de la société civile. Les associations, qui se sont réunies à Béjaïa la semaine dernière, ont fait appel également à une solidarité internationale. Des actions de mobilisation et de terrain aux niveaux régional et national sont envisagées. Dimanche, première action, elles ont tenu un rassemblement devant APN pour exiger l'abrogation de la loi. Selon Sid Ali Boudiaf, avocat chargé de certains dossiers des associations, la quasi-totalité des associations n'ont pas eu l'autorisation de tenir leur assemblée générale. «En janvier et en juillet dernier, après deux tentatives pour obtenir l'autorisation de tenir notre assemblée générale et après une longue attente, nous avons décidé de la tenir sans l'aval du ministère de l'Intérieur en septembre dernier», confirme Abdelouahab Fersaoui, du Rassemblement Action Jeunesse. Agrément Vient ensuite le problème de dépôt du dossier d'agrément. Il faut d'abord décrocher un rendez-vous pour le déposer, puis obtenir un récépissé d'enregistrement. Les associations contactés affirment que les portes du ministère de l'Intérieur ont toujours été fermées et aucune d'elles n'a pu décrocher un rendez-vous de dépôt. «Nous avons alors envoyé notre dossier par courrier», affirment le président du RAJ et la présidente de l'association El Baraka pour les personnes handicapées. Et c'est le cas pour la quasi-totalité des associations. Selon la nouvelle loi (article 8), lorsque les associations déposent une demande d'enregistrement, les autorités peuvent l'accepter et délivrer un récépissé d'enregistrement ou la refuser. A ce jour, plusieurs associations attendent quel sera leur sort. «Nous continuons à exister avec ou sans la loi», avertit le président du RAJ. «Cette loi liberticide est venue imposer le diktat de l'administration. Cette dernière a non seulement le pouvoir d'accepter ou de refuser d'agréer une association mais aussi le pouvoir de la dissoudre, si son activité la gêne. L'administration peut faire recours au tribunal administratif pour retirer l'agrément à une association sans motif», s'indigne Me Sid Ali Boudiaf. «Cette loi doit être abrogée. On doit revenir à une loi ou à un principe déclaratif est la règle en matière de constitution d'associations. Nous sommes passés d'un système déclaratif au système d'agrément», affirme Boudjamâa Ghechir, président de la Ligue algérienne des droits de l'homme. Saïd Salhi, vice-président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'homme, dénonce : il y a «aberration et abus à tous les niveaux : ministère de l'Intérieur, wilayas, daïras APC…» Il ajoute : «En plus des incohérences, abus de la loi en elle-même, l'administration se déroge le droit d'interpréter la loi en refusant de délivrer le récépissé de dépôt ou, à défaut, un accusé de réception au dépôt du dossier de conformité. Elle exige aussi parfois la légalisation des signatures des membres fondateurs et des instances dirigeantes, et ce, en plus du PV de l'huissier de justice qui normalement a authentifié la présence de ses membres à l'AG.» Interdiction Les associations ayant organisé le rassemblement à l'APN ajoutent, unanimes, «le pouvoir de trancher sur les conflits entre l'administration et les associations doit revenir aux instances judiciaires. Nous continuerons notre protestation de manière pacifique en usant de toutes les possibilités qui nous sont permises par la loi jusqu'à ce que cette loi soit abrogée, loi venue pour tuer le mouvement associatif». Abdelouahab Fersaoui, du RAJ, affirme encore que le contenu de ce texte est en contradiction flagrante avec l'article 41 de la Constitution qui stipule que les libertés d'expression, d'association et de réunion sont garanties au citoyen. Mais aussi en contradiction avec le discours officiel sur les réformes, qui prétend l'approfondissement du processus démocratique et le renforcement des bases de l'Etat de droit. La nouvelle loi contredit également l'article 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ratifié par l'Algérie. Depuis l'entrée en vigueur de ce texte, plusieurs associations se voient confrontées à des barrières administratives et judiciaires. L'article 23 interdit, en effet, aux associations de s'ingérer dans les affaires de l'Etat : pas un mot sur la politique ni sur les affaires de l'Etat ou les affaires publiques. Mais il s'agit là d'une brèche ouverte aux pouvoirs publics afin de «contraindre les associations au silence», selon certains membres. «C'est une volonté politique pour tuer le contre- pouvoir», affirme Me Ghechir. Le gel des activités de deux associations de défense de l'environnement à Oran en août dernier pour avoir osé s'opposer à un projet local sur la construction d'une bâtisse en est un exemple. «Ça se passe un peu à la tête du client, mais certaines pratiques sont le fait du ministère de l'Intérieur lui-même. Les agents disent qu'ils ont reçu une instruction du ministre de l'Intérieur de ne pas remettre de récépissé de dépôt, explique-t-il. C'est amplement suffisant pour juger de la volonté du gouvernement en place. Plus de contrôle, de verrouillage et de bureaucratie.»