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163 ans d'existence !
Visite. L'ASSOCIATION DES BEAUX-ARTS D'ALGER
Publié dans El Watan le 15 - 02 - 2014

Quel est le point commun entre M'hamed Issiakhem, maître de la peinture moderne algérienne, Souad Massi, chanteuse à la carrière internationale et Kamel Aziz, jeune prodige de chaâbi ?
Outre le fait d'être des noms qui comptent, chacun dans son domaine artistique, tous trois ont été élèves à l'Association des Beaux-Arts d'Alger (ex-Société des Beaux-Arts). Et la liste des artistes qui ont «bien tourné» après un passage ici est longue, autant dans les arts plastiques que dans la musique et la chanson. Nous nous sommes donc interrogés sur le travail de cette association algéroise qui, selon les mots de son discret directeur, le miniaturiste Mustapha Belkahla, «ne fait pas beaucoup de bruit mais fait bien ce qu'elle a à faire». En effet, moins connue que le Conservatoire ou l'Ecole des Beaux-Arts, cette association fait pourtant office de vivier artistique depuis plus d'un siècle et demi. Sa création remonte à 1851. Située initialement au bout de la rue Tanger, sur l'actuelle place Emir Abdelkader, elle a ensuite élu domicile au quartier Climat de France en 1987, avant de s'établir, en 1989, à son adresse actuelle, avenue Ghermoul. L'association assure aujourd'hui des cours de dessin, de peinture, de miniature, de calligraphie, de décoration sur bois et de musique classique algérienne et occidentale.
Malgré les bouleversements qu'a connus le pays et le peu de moyens dont elle dispose, force est de constater la remarquable continuité de l'association dans le temps. Si l'état de délabrement du local nous désole de prime abord, l'abnégation et la passion des enseignants nous impressionnent d'autant plus. La majorité d'entre eux ont d'abord été élèves avant de poursuivre la mission de leurs maîtres et de perpétuer leur mission de transmission. Parmi les directeurs qui se sont succédé à la tête de l'association, nous retrouvons des noms prestigieux à l'image de l'homme de lettres (et de radio) Boudali Safir, du peintre Abderrahmane Sahouli, du musicien Youcef Khodja et enfin de Mustapha Belkahla qui se souvient : «Durant ma jeunesse, je faisais des pieds et des mains pour me procurer les quinze dinars qui me permettraient de renouveler mon inscription à l'association. Ma première année en tant qu'élève date de cinquante ans !» Mme Djaknoune, professeur de piano et de technique vocale, se remémore également ses belles années aux Beaux-Arts durant les années soixante. Mémoire vivante de la scène musicale algéroise, cette artiste lyrique a brillé dans l'interprétation des compositions de Mohamed Iguerbouchene, elle nous raconte : «A l'époque, c'était assez mal vu pour une femme de faire du chant. Le jour où ma prestation avait été diffusée à la télévision, je rasais les murs de La Casbah pour ne pas être remarquée. Ce n'était donc pas facile pour moi. Mais, envers et contre tout j'ai continué à pratiquer la musique et à l'enseigner. Même durant la décennie noire je n'ai jamais arrêté. La musique est une façon de communiquer des émotions mais aussi de meubler nos solitudes.»
Durant le cours de technique vocale, ses élèves, qui affichent déjà un très bon niveau, l'écoutent religieusement. «Apprendre la technique vocale, c'est aussi prendre conscience de son corps. L'éducation de la voix juste passe par le corps, pas par la théorie. J'ai une élève asthmatique, pour qui les cours ont été une véritable rééducation. Son médecin était impressionné par son évolution. Par le chant, on apprend également les langues et la prononciation juste. On apprend à se servir des possibilités de sa voix comme le peintre se sert des couleurs de sa palette», ajoute Mme Djakoun. Son ancienne élève durant les années 80, Mme Bachsais, est actuellement responsable de la classe d'initiation à la musique andalouse. Pour celle-ci, la transmission du savoir technique doit s'accompagner d'une éducation à l'art : «Au-delà de la technique, c'est aussi et surtout une transmission de valeurs, comme la discipline, nécessaires à toute pratique artistique. Durant le cours, j'apprends aussi aux élèves à bien se tenir : comment s'assoir, comment tenir son instrument. Et puis, sur scène, on porte des habits traditionnels algérois. Tout cela fait partie du respect du public et du respect en général.» Elle précise : «La classe d'initiation est sans limite d'âges. Les enfants apprennent très vite et souvent ce sont eux qui montrent aux adultes. Cela change également notre vision des enfants et ces derniers se sentent ainsi respectés.» Cette éducation artistique qui se réduit comme peau de chagrin dans les programmes scolaires, quand elle ne se résume pas à une heure de permanence, retrouve son sens aux Beaux-arts.
«Je suis moi-même maman, et je vois que les enfants ne trouvent pas d'occupation durant les après-midi libres. Aujourd'hui, mes deux filles, qui ont 19 et 14 ans, sont inscrites à l'association en classes de piano et guitare», nous confie Mme Boumaâza, responsable de la classe d'initiation au dessin, poursuivant : «Toutes les disciplines sont ouvertes et on peut aller de l'une à l'autre pour trouver son chemin et puis surtout pour avoir une culture artistique plus large. Je me suis inscrite au début des années 80. J'apprenais les bases du dessin et de la miniature, mais en parallèle j'allais aussi dans les classes de musique arabo-andalouse et de calligraphie.»
L'ouverture des disciplines s'accompagne d'une ouverture à tous les publics. L'inscription est en effet accessible, selon la formule consacrée, de sept à soixante dix-sept ans. «Cela tombe bien, car le jour de mon inscription j'avais exactement soixante-dix sept ans !», plaisante Mme Bacha, doyenne des élèves, qui nous montre fièrement sa plus belle œuvre : une toile représentant la cour de l'association. «Je voulais faire de la peinture depuis mon enfance, mais dans les années 50 ce n'était pas évident, mon père n'aurait jamais accepté. Plus tard, je me suis mariée avec quelqu'un de très ouvert qui était fonctionnaire à l'Education nationale. Lui m'a beaucoup encouragée. Et puis, quand mes enfants, qui m'ont également encouragée ont grandi, j'avais assez de temps libre pour me consacrer enfin à cette passion. Je me suis inscrite à l'association depuis 2009 et me suis très vite adaptée. Aujourd'hui, c'est comme un deuxième chez moi !»
L'une des particularités de l'association est également sa participation aux manifestations culturelles. «C'est le meilleur moyen de valoriser le travail des élèves et de les pousser à progresser», explique Mme Bachsais. «Nous revenons d'une exposition à Tizi Ouzou et nous nous apprêtons à participer à la semaine culturelle d'Alger à Annaba. Nos dessins et peintures voyageront avec des musiciens de chaâbi et d'autres artistes qui s'attelleront à représenter la culture algéroise. Par ailleurs, nous organisons chaque année au moins une exposition en fin d'année, en plus de celle du 8 mars (Journée de la femme). Nous nous déplaçons également dans environ cinq wilayas par an», résume Ahmed Boukraâ, professeur de dessin et lui-même ancien élève dans la classe de Mohamed Bouslah (Ndlr : peintre, caricaturiste et bédéiste, un des pionniers de la revue M'qidech sous le pseudonyme de Mémèd et, plus récemment, auteur d'une adaptation BD du Dingue au bistouri de Yasmina Khadra).
Si certaines disciplines telles que la danse classique ont disparu des programmes de l'association, d'autres se sont affirmées avec force, à l'image de la musique arabo-andalouse. L'orchestre de l'association, qui a vu le jour en 1980, est aujourd'hui une des meilleures formations sur la scène nationale. Son jeune chef d'orchestre, Abdelhadi Boukoura, énumère les réalisations de sa troupe : «Depuis que la direction de l'orchestre m'a été confiée, on participe pratiquement à toutes les festivités sur le territoire national (Alger, Blida, Mostaganem, Tlemcen, Annaba, Oran, Constantine…). On a été lauréat du Festival Sanaâ d'Alger en 2009, premier prix au Festival Hawzi à Tlemcen en 2013, troisième prix au Festival Sanaâ en 2013. Nous avons également cinq opus sur le marché: Nouba sika 2005 ; Nouba reml ­2006 ; nouba maya 2007 ; nouba rasd 2009 et nouba ghrib en 2011, ainsi qu'un sixième album (Nouba resd el dhil) à paraître prochainement. Nous comptons, par ailleurs, deux concerts à l'Institut du monde arabe de Paris et six de nos élèves ont participé, aux côtés du grand maître Noureddine Saoudi, à l'exposition universelle de Zaragoza en 2008.» L'orchestre des Beaux-arts se distingue, selon son directeur, par un répertoire varié intégrant la nouba mais aussi les loungats turcs des samaiyates orientales et la Ala du Maroc. Bref, une grande ouverture musicale qui coule naturellement de la culture citadine algéroise.
L'autre discipline phare des Beaux-Arts est sans nul doute la miniature. Cet art, initié à Alger par Mohammed Racim, ne jouit toujours pas d'une école dédiée. Et l'association est à peu près le seul lieu où l'on peut s'initier à ses techniques. «Il y a un gros déficit de formation en miniature, constate Mustapha Belaribi, professeur de miniature aux Beaux-Arts. Nous n'avons pas d'école spécialisée dans ce domaine, tout juste un module académique à l'Ecole des Beaux-Arts. Il existe des ouvrages de Temmam ou Racim, mais qui restent généraux. On ne trouve pas de méthodes pédagogiques pour apprendre de la base. Je me souviens de journées entières que je passais au Musée des Beaux-Arts à essayer de décrypter la technique des miniatures de Mohammed Racim. J'essaie à mon niveau de pallier ce manque.» M. Belaribi note également une rupture dans la transmission orale qui nécessite un changement de paradigme dans la pédagogie. «La transmission individuelle de maître à élève ne suffit plus. L'enseignement doit être ouvert. On partage tout ce qu'on sait sur Internent et on découvre aussi ce qui se fait dans le monde. Je scanne d'ailleurs mes cours et les publie en ligne ou sur cd que je donne à toute personne qui veut apprendre. Aujourd'hui, il n'y a plus rien à cacher !»
Après nous avoir confié qu'il doit travailler dans l'administration pour survivre, il ajoute tout de suite : «Quand on me dit que je pratique la miniature ‘‘en plus'', je réponds que c'est au contraire mon vrai métier. C'est mon emploi dans l'administration qui est ‘‘en plus'' !» La passion de cet artiste a fini par payer puisqu'il a obtenu le premier prix du Festival international de miniature et d'enluminure en 2006, le deuxième prix était revenu à sa défunte femme, elle aussi élève des Beaux-Arts. «Après le décès de ma femme, je me suis éloigné de la miniature, se souvient-il avec émotion. M. Benkahla m'a ensuite demandé de relancer la classe de miniature en tant qu'enseignant. Au début, je craignais de ne pas avoir beaucoup de personnes qui s'intéressent à cette discipline. Mais dès la première année, la classe ne suffisait pas à contenir tous les élèves. Parmi tous ces élèves, beaucoup se découvrent un don qu'ils ignoraient.» En effet, trois de ses élèves ont participé à la dernière édition du festival international. «Au départ, mon but était de faire de l'initiation ; mais quand je vois les sacrifices que font mes élèves, qui ont pourtant souvent des responsabilités par ailleurs (des enfants, un travail…), je me dis qu'on peut aller loin, conclut-il avec optimisme.
S'il fallait résumer par un adjectif l'ambiance qui règne au sein des Beaux-Arts, c'est celui de «familial» qui s'impose d'emblée. Une famille réunie par la passion des arts, envers et contre tout. Mme Boumaâza se souvient par exemple : «Durant les années 90, malgré les événements tragiques qui se déroulaient autour de nous, l'association ne s'est pas arrêtée de fonctionner. Le nombre des membres avait sensiblement diminué, mais cette situation difficile a, paradoxalement, resserré les liens entre la petite équipe qui restait. On est devenu comme une famille !» De la société à l'association, c'est finalement la famille des beaux-arts qui se perpétue.


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