La gestion d'une crise est autant une pratique qu'une culture. Il y a beaucoup d'écrits dans ce domaine. Des experts se sont spécialisés dans cette matière. Cette spécialité pointue s'est révélée efficace pour la gestion de crises qui semblaient apparemment insolubles. Certes, certaines crises n'ont pas de solutions. Toutes les maladies ne sont pas guérissables. Mais un grand nombre de situations qui semblent inextricables peuvent trouver des alternatives de solutions crédibles. La gestion des crises devient un puissant outil de résolution de conflits graves lorsque certains soubassements culturels existent : traditions de recherche de compromis, focalisation sur l'objectif essentiel, prise en considération des craintes d'autrui, etc. J'ai été le témoin d'un conflit profond entre deux dirigeants d'une grande ONG internationale. Les deux principaux dirigeants étaient en situation de litige grave : l'un était Hindou et l'autre Anglais. Après plusieurs tentatives de conciliation par un expert coréen en gestion des conflits, le différend persistait toujours. Ce dernier m'expliquait qu'en Corée, lorsque deux personnes n'arrivent pas à s'entendre on les oblige tous deux à démissionner. C'est ce qui fut appliqué dans ce cas. Dans les pays qui n'ont pas ces traditions, les solutions seraient ailleurs : la recherche ardue d'un consensus où chacun ferait des concessions. La 2e solution fut réalisée récemment avec brio par nos voisins tunisiens. Le pays n'est pas encore sorti de crise. Il va probablement vivre quelques années de violences marginales. Mais il ira mieux car la vaste majorité de la classe politique a trouvé un consensus. Chacun a fait des concessions. Les règles élémentaires de gestion des crises Il ne peut y avoir de gestion de crises lorsqu'une entreprise, un secteur ou un pays a développé une tradition de prise de décisions en fonction de l'unique facteur du rapport de forces. Chaque conflit grave se résout alors au plus haut niveau hiérarchique et seulement en fonction de l'autorité et des capacités de coercition des hauts décideurs. Beaucoup d'entreprises ont développé de telles pratiques. Le dénouement se réalise principalement en fonction des convictions du décideur et en fonction de son pouvoir formel ou informel. Dans ce genre d'institutions, ce sont les types de personnalités plutôt que les mécanismes réfléchis qui induisent des choix particuliers. Le système devient du type «Brownien». L'institution vit différentes pratiques, différentes méthodes et différentes priorités se dessinent à des niveaux hiérarchiques distincts. Mais la stagnation est quasi assurée. Alors que les entreprises rivales s'améliorent, celle-ci va se gérer au quotidien et se trouve ballottée par les événements. Elle subit au lieu de créer les changements. Le décalage s'élargit au point de devenir insoutenable. Elle commence alors à péricliter au point d'être démembrée (vente de ses filiales et descente vers la faillite). Ce genre d'entreprise n'a pas créé la capacité de gérer efficacement les conflits. Il n'y a pas de place pour les compromis, les échanges fréquents et la capacité d'accommoder autrui. Les craintes justifiées ou pas des autres sont ignorées. On développe une communication à sens unique. La vérité est en haut et l'erreur en bas. On aboutit à la conclusion de Jean Paul Sartre : «L'enfer c'est les autres». Les concessions et l'acceptation de l'optimum possible La capacité de faire des concessions est la clé de voûte de tout management des conflits. Lorsqu'on érige sa propre solution comme unique alternative, le conflit se corse. Les partis politiques tunisiens ont tous fait des compromis. Le résultat n'est la solution d'aucune institution politique. Chacun a lâché du lest. Le pays est encore loin de régler la plupart de ses problèmes. Mais il est bien parti pour le faire. Il faudrait probablement de nombreuses années avant de gagner une stabilité durable. Mais la capacité des acteurs à générer des alternatives a été salutaire. C'est loin d'être le cas pour les acteurs en Egypte et en Libye. Dans ces pays, chaque protagoniste brandit sa solution comme étant unique. Les autres acteurs devaient seulement acquiescer. Le résultat ne peut être que la confrontation. Le dénouement à l'égyptienne ne satisfait qu'un interlocuteur mais à 100%. La solution tunisienne ne satisfait totalement aucun acteur. Chacun a obtenu entre 50 et 70% de ses revendications. On a cherché le meilleur optimum possible. Il faut accepter également que cet optimum ne règle pas maintenant et définitivement toutes les incertitudes liées à la transition. Il permet seulement de dépasser le cap actuel pour envisager plus tard d'autres possibilités. Une saine gestion de crise doit reconnaître que toute crainte réelle ou supposée doit être prise en charge. Sinon la situation se bloque. En gestion des entreprises, cette préoccupation cause souvent d'énormes torts aux processus de changement. En Algérie, la privatisation est bloquée uniquement à cause des soucis d'emploi et de préservation de l'outil industriel. La situation peut facilement se débloquer en créant un fonds de restructuration des entreprises pour prendre en charge (techniquement) le repositionnement des ressources humaines et la récupération de ce qui est possible à partir des outils de production disponibles. Mais on fait comme si ces craintes n'existent pas. Seulement d'un côté on les ignore, mais de l'autre on évite de privatiser (ce qui devrait être privatisé). On établit un consensus qui détruit plus de ressources qu'il n'en faut. On n'intègre pas cette préoccupation directement mais on la gère quand même en immobilisant le processus. On choisit donc la plus mauvaise situation possible. Voilà ce qu'il en advient lorsqu'on évite de prendre en charge effectivement une crainte justifiée ou pas en période de changement complexe. Il y a beaucoup d'interfaces entre la gestion du changement et le management des conflits parce qu'ils sont imbriqués. Le facteur-clé de succès demeure la sensibilité aux préoccupations d'autrui.