Nous avons besoin d'idées prospectives afin d'évaluer les alternatives de cheminement de l'économie nationale, que l'on soit une personne ou une institution. Mais c'est l'entreprise qui est plus concernée par ces évaluations. Le devenir de l'économie algérienne intéresse, à plus d'un titre, nos gestionnaires.L'entreprise baigne dans un environnement économique où elle puise ses ressources et commercialise ses produits et ses services. Elle n'a pas d'existence propre en dehors d'un milieu économique, politique et social. De par sa taille, elle influe moins sur son environnement mais en subit plus toute mutation profonde intervenue. Formuler une stratégie revient à déterminer explicitement des hypothèses sur l'état futur de notre environnement. «La prévision est difficile, surtout si elle concerne l'avenir» disait un proverbe chinois. Ceci est d'autant plus vrai dans les pays sous-développés pauvres en informations et en analyses. L'Algérie n'en fait pas exception. Il est d'autant plus aisé d'établir un plan stratégique pour une firme italienne ou française qu'une entreprise algérienne, surtout à l'heure où les compétences nationales font cruellement défaut pour le faire. Nous vivons une période de rupture et d'incertitudes dans tous les domaines : économique, politique et social. Face à cette situation, le manager ne peut qu'opter pour des choix de scénarios et de se préparer à plusieurs alternatives. La complexité de la situation ne doit pas nous inciter au rejet ou à l'abandon de la planification stratégique. Mais elle la rend plus coûteuse et davantage complexe. Alternatives Possibles En ce sens, nous entrevoyons et conseillons d'entreprise algérienne d'opter, au minimum, pour trois scénarios possibles : 1. Report de décision 2. Relance d'une économie non assainie 3. Intégration dans l'économie mondiale Le plan stratégique a un horizon de sept à vingt ans. La période peut varier en fonction de la firme et de sa branche d'activité. Plus l'horizon est lointain plus le plan est aléatoire. Dans cet intervalle de temps, les managers seront appelés à adapter l'entreprise au marché et aux intérêts des clients et ceux des employés. Se préparer à une situation envisagée donne l'avantage de formuler un consensus autour d'un projet d'entreprise adapté au défi anticipé. Une entreprise prise isolément peut prospérer en période de chaos. Schumpeter ne disait-il pas que les crises économiques ont au moins un mérite : disqualifier les entreprises économiques mal gérées. Le manager efficace n'attend pas la reprise économique pour assainir son entreprise ni la prospérité générale pour améliorer sa performance et paradoxalement si tous les gestionnaires agissent ainsi, une reprise économique générale s'amorce et la crise serait vaincue. La véritable solution au problème du développement est entre les mains des managers. Les pouvoirs publics ne peuvent qu'aider à cette fin.Nous avons envisagé trois scénarios futuristes possibles pour l'entreprise algérienne. Nous développons quelque peu ces trois hypothèses probables : Report de décision Les réformes économiques datent, déjà, de 1986. L'essence de l'organisation économique est demeurée fondamentalement la même : structure monopoliste, décisions administrativo-politiques pour gérer l'économie et contraintes externes majeures. Il n'y a pas de consensus économique et politique entre les différentes composantes de la société (partis, entités économiques, organisations de masse...) pour payer un prix, assainir financièrement les entreprises non stratégiques, les privatiser et passer à une économie de marché en créant tous ses pré-requis : marchés financiers, bourse, administration experte, etc. cette situation de fuite en avant, de refus de prise des décisions les plus dures : politique salariale conforme au niveau de la productivité réelle, nominations de managers en fonction de leurs compétences, restructurations sectorielles et autres, persiste. La société est toujours capable de reporter à plus tard les décisions radicales, douloureuses et indispensables. On a toujours tendance à éviter une chirurgie lorsqu'on pense qu'il est possible de la reporter. Plusieurs pays d'Amérique latine se trouvent dans cette situation depuis plus d'un siècle. La caractéristique de cette alternative est une croissance économique faible sinon nulle. Les déséquilibres sociaux, s'aggravent dans tous les domaines (logements, lits d'hôpitaux, sièges, transport, bancs d'écoles...) et apparition de deux classes distinctes : l'une au pouvoir d'achat formidablement élevé mais minoritaire, et paupérisation d'une majorité de la population alors que la proportion de la couche moyenne se rétrécit (situation de l'économie égyptienne). La démographie y est pour beaucoup dans les mécanismes de déséquilibres. Nous espérons tous éviter cette alternative en adoptant des attitudes responsables qui consistent à ne pas reporter indéfiniment les questions de fond. Mais cette éventualité demeure. Les managers n'ont pas le droit d'écarter cette hypothèse ; ceux qui planifient par scénarios peuvent l'incorporer dans leur champ de possibilités. Relance d'une économie non assainie Cette seconde alternative constitue le choix des décideurs depuis l'an 2000. Mais il est impossible de savoir si elle sera prolongée après 2014. Dans ce cas de figure, les pouvoirs publics arrivent à mobiliser des ressources appréciables grâce aux ressources dégagées par les hydrocarbures. La relance s'opère par les investissements publics et des crédits octroyés aux secteurs public et privé. En disposant de plus de ressources, les pouvoirs publics peuvent dans une large mesure assainir les entreprises. Mais l'organisation économique et les mécanismes mis en place sont trop insuffisants pour opérer un redressement économique durable et ériger les comportements compatibles avec le développement économique. La compétition interne et externe est limitée et les systèmes de motivation mis en place ne peuvent pas hisser les entreprises algériennes au rang des performances des firmes étrangères. La prospérité artificielle et passagère qui suivra sera confondue avec l'enracinement du développement et cette situation durera jusqu'à l'épuisement des ressources mobilisées. Après cela, l'économie nationale retournera soit à la première ou à la seconde alternatives. Dans ce second scénario, les contraintes d'approvisionnement, pièces de rechange et les conditions de crédit se desserreront quelque peu. Les entreprises, les managers et les décideurs publics confondront cette amélioration périodique des conditions économiques avec la maîtrise de l'outil de production, alors que les inefficacités qui caractérisent le système perdurent. Mais les gestionnaires qui planifient pour ce scénario doivent savoir qu'il y a une période plus ou moins longue, cinq à dix ans de relance et de relative prospérité dont il faut tirer profit pour hisser le niveau de productivité et assainir définitivement leur système de gestion. Durant cette phase, bien que la coopération et la création de sociétés mixtes se développeront, l'ouverture ne sera que partielle et la production nationale sera dans une large mesure protégée. Intégration dans l'économie mondiale Les pouvoirs publics ont déjà opté pour une économie de marché. Mais force est de constater que la structure et les mécanismes ne se modifient que très lentement. Pour asseoir définitivement une économie du type mixte avec prédominance de libéralisme mais dotée de transferts sociaux appréciables, les pouvoirs publics sont capables de l'intégrer plus profondément dans l'économie mondiale et accepter la spécialisation qui en découle. Cette option peut voir le jour après 2014 avec la fin des processus de relance par la demande publique. L'économie mondiale est assimilable à un vaste marché dans lequel les firmes multinationales et les pays choisissent des segments selon leurs avantages compétitifs. La spécialisation mondiale est telle que seuls quelques secteurs qui constituent nos points forts peuvent se développer outre mesure : tourisme, agriculture méditerranéenne et activités à fort contenu d'énergie. De nombreux secteurs nationaux vont se rétrécir et d'autres prendront une grande ampleur. Le degré d'ouverture et la nature des activités d'une firme permettent de confectionner un plan stratégique spécifique à l'entreprise en question et la positionner en conséquence. Dans les premières années qui suivent l'ouverture, le choc économique est fulgurant : inflation, montée de chômage et dépréciation du dinar. La stabilité et la reprise durable ne peuvent survenir qu'après l'absorption du choc initial (3 à 5 ans). Conclusion Les entreprises algériennes doivent revoir en profondeur leur modèle managérial. Par exemple, elles seront appelées à s'organiser d'une manière différente en créant un maximum de département de résultats, et en structurer un réseau de consultations et de concertations de sorte à utiliser toutes les potentialités existantes. C'est dans les moments difficiles que les gens acceptent plus de sacrifices. Toutes les entreprises s'évertuent à identifier toutes les autres et l'environnement comme la source ultime de leurs problèmes, mais nous avons constaté que la plupart sont loin de s'être structurées efficacement. Ainsi, l'entreprise algérienne n'a pas acquis des comportements compatibles avec l'efficacité. Plusieurs capacités sous-utilisées ne sont pas louées, des mutations d'activités ne se sont pas opérées. L'entreprise algérienne est encore jalouse des monopoles partiels et n'a pas entrepris les mutations organisationnelles et culturelles à cette fin. La croissance artificielle va donner l'illusion à plusieurs entreprises que le retour aux règles économiques du passé va perdurer. Elles cesseront leurs efforts timides de rationalisations progressives et se mettront en péril à moyen terme. Celles qui utiliseront cette accalmie pour rationaliser davantage leur outil de production pourront prospérer au sein de l'inévitable et incontournable économie de marché.