L'organisation américaine des droits de l'homme, Humam Rights Watch (HRW), a déclaré que la liberté de la presse en Algérie reste « en danger malgré la libération bienvenue de Mohamed Benchicou », directeur du journal Le Matin, après avoir purgé deux années de prison. Dans un communiqué diffusé, hier, à partir de Bruxelles, HRW a noté que « les détracteurs du gouvernement algérien n'en continuent pas moins d'être exposés à des représailles. Celles-ci s'expriment par une pléthore de procès en diffamation et, à l'occasion, dans des inculpations douteuses pour infractions pénales ». Pour l'organisation, ces poursuites judiciaires et autres pressions restreignent considérablement la liberté de la presse en Algérie, plus encore qu'il y a sept ans, a-t-elle ajouté, lorsque le président Abdelaziz Bouteflika avait été élu pour la première fois. Selon Sarah Leah Whitson, directrice exécutive de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord de l'organisation, les autorités « ont prétendu que Benchicou avait violé les réglementations douanières pour justifier son emprisonnement. Or, son seul crime est d'avoir attaqué le Président et ses associés à un moment où ils étaient bien décidés à mettre une sourdine aux critiques ». HRW a expliqué que les problèmes judiciaires auxquels fait face Mohamed Benchicou ne sont pas terminés. « Au moins 10 plaintes en diffamation portées contre lui ont pris le chemin des tribunaux. Certaines, notamment, ont été déposées par ou au nom d'institutions et de fonctionnaires publics pour des articles publiés dans Le Matin. Dans deux cas, des cours d'appel ont condamné Benchicou à la prison ferme, peines qu'il n'a pas encore commencé à purger pour la simple raison qu'il a fait appel des jugements devant la plus haute cour du pays, la Cour de cassation. » Elle a précisé que ces difficultés ressemblent à celles de bon nombre d'autres directeurs de publications et journalistes qui sont sans cesse appelés à comparaître devant les tribunaux pour répondre de plaintes en diffamation déposées contre eux pour des articles et des caricatures politiques. « mettre un terme à la détention des reporters » (...) Bachir Larabi, correspondant du quotidien El Khabar à El Bayadh, a passé un mois en prison au début de cette année pour avoir « diffamé » des responsables locaux. « Au cours des deux années passées à la prison d'El Harrach, Benchicou a fait des allers et retours au tribunal pour répondre des accusations de diffamation portées contre lui et encore en suspens, que ce soit pour des propos écrits de sa main ou en sa qualité de directeur du Matin. Benchicou espère récupérer son passeport lors de sa libération. Il lui a été confisqué en 2003, lorsque le tribunal a ouvert une enquête criminelle à son encontre. Sur le plan juridique, rien ne justifierait aujourd'hui qu'il ne lui soit pas restitué. » HRW a, par ailleurs, rappelé les propos de Mme Benchicou, selon lesquels son mari espérait relancer la publication du Matin, qui a cessé de paraître en juillet 2004, lorsque l'imprimerie publique Simpral a refusé de continuer à l'imprimer jusqu'à ce qu'il paie toutes ses factures en souffrance. Le mois précédant, peu après la condamnation de Benchicou, les autorités avaient saisi les avoirs du journal, notamment le bâtiment qu'il possédait à Alger, et les avaient vendus aux enchères pour, selon elles, éponger le redressement fiscal réclamé au Matin. « Lorsque Mohamed Benchicou sera remis en liberté aujourd'hui, l'Algérie ne comptera plus aucun journaliste en prison », a déclaré Whitson. « Mais tant que les tribunaux ne garantiront pas des procès équitables aux détracteurs du gouvernement et tant que les autorités n'abrogeront pas les lois répressives en matière de diffamation, il est peu probable qu'il soit le dernier à avoir été derrière les barreaux. » Pour sa part, la Fédération internationale des journalistes (FIJ) s'est « réjouie » de la libération de Mohamed Benchicou et a demandé en outre « la levée de sanctions pénales menaçant de prison ferme deux douzaines d'autres journalistes ». Dans un communiqué publié, hier, le secrétaire général de la FIJ, Aidan White a déclaré : « (...) Même si nous applaudissons cette nouvelle (libération), nous restons extrêmement soucieux du sort d'au moins une vingtaine d'autres journalistes qui sont toujours menacés de sanctions pénales », précisant plus loin qu'« il est temps pour la liberté de la presse en Algérie de prendre un nouveau départ et il est temps de mettre un terme à la détention des rédacteurs et reporters et d'éliminer toute forme de répression vis-à-vis des journalistes ». Le coordinateur du bureau de l'organisation à Alger a, de son côté, indiqué que « le dossier Benchicou a mis en lumière un système judiciaire corrompu et politisé que nous avons vu prendre tous les tours et détours dans une suite d'erreurs ces deux dernières années. Nous devons maintenant libérer nos autres collègues et faire le maximum pour décriminaliser les délits de presse en Algérie ».