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Comment ils ont sorti 4 millions de signatures de leur chapeau
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Pressions sur les employés des entreprises publiques, utilisation des fichiers de l'état civil et achat de signatures : les témoignages s'accumulent pour raconter comment les émissaires de Abdelaziz Bouteflika ont rempli en moins d'une semaine les formulaires nécessaires à sa candidature. Le discours rassurant de la Commission nationale de supervision de l'élection n'y fera rien : la fraude, même si elle n'est pas déclarée, est rapportée par tous.
Piratage du fichier de l'état civil, formulaires antidatés et chantage. Les témoignages recueillis à Alger et ramenés des différentes régions du pays sont les mêmes : la collecte de signatures au profit de Abdelaziz Bouteflika a été entachée d'irrégularités. Comment 4 millions de signatures permettant au candidat Bouteflika de soumettre son dossier au Conseil constitutionnel ont-elles pu être collectées en moins de huit jours au profit de Abdelaziz Bouteflika ? Sachant que l'administration réclamait la présence de chaque citoyen souhaitant apporter sa signature, on aurait dû voir des files d'attente de 800 personnes par jour pendant 5 jours dans chaque APC, s'étonnent nombre de candidats. «Nous étions sous pression, justifie un élu FLN d'Alger-Ouest.
La centrale du parti nous a donné 48 heures pour rassembler les signatures, et tout était bon pour en trouver un maximum, y compris en piochant sur les listes des jeunes bénéficiaires du programme Blanche Algérie (un programme d'emploi propreté-environnement, ndlr)». Un autre élu poursuit : «Le personnel des entreprises publiques a également été mobilisé pour remplir ces formulaires. Mais à l'intérieur du pays, c'est pire, il n'y a eu aucune limite. Enfin, il ne faut pas se focaliser sur le FLN. Le RND et le TAJ ont utilisé les mêmes procédés. A mon avis, la collecte a été tellement irrégulière qu'au moins 40% des 4 millions de signatures devraient être invalidées par le Conseil constitutionnel.» Début février, El Watan 2014 révélait qu'à Mascara les militants FLN remplissaient des formulaires sans que la date ne soit mentionnée, comme prévu par la procédure. Autre méthode utilisée : le chantage. Plusieurs employés d'Air Algérie ont confié avoir fait l'objet de pressions pour signer. Des cas de pré-emploi de plusieurs secteurs, dont Bouira (voir ci-dessous), ont eu droit au même traitement de la part de leur hiérarchie.
Bidonvilles
Selon le général Mohand Tahar Yala, des cadres de l'aéroport d'Alger ont reçu, avant la candidature, un coup de fil du ministre des Transports qui aurait donné comme consigne de faire signer à tout le personnel les formulaires pour le Président sortant. «Si les trucages ont toujours existé, aujourd'hui, on ne prend plus la peine de se cacher», ajoute-t-il. Après l'annonce de la candidature, des employés de Sonatrach ont aussi reçu des pressions de la part des cadres et des responsables de l'UGTA. «Nous avons reçu des témoignages selon lesquels ont aurait promis aux employés l'avancement du versement de leur prime, prévue quelques mois plus tard, rapporte Soufiane Djilali. Le même scénario s'est répété au CNES et à Sonelgaz.
Dans les APC, les agents administratifs se sont carrément enfermés dans les bureaux pour remplir les formulaires à partir des registres d'état civil. Alors que nous, nous avons eu beaucoup de mal à réunir nos signatures...» Pour être sûrs de rassembler le plus de signatures possibles, les petits partis, relais du pouvoir, «se sont même rendus dans les bidonvilles», affirme un élu. «Ils ont exigé des habitants qui avaient soumis une demande de logement AADL qu'ils signent au risque de se voir radier des listes.» Mohamed Chérif Taleb, candidat malheureux du PNSD, résume pour annoncer son retrait : «Les jeux malsains de l'argent sale et le comportement de certains fonctionnaires zélés en faveur d'un cadidat donné ont eu un impact négatif sur les résultats du parti.»
Ramdane Youssef Tazibt, député du PT, qui rappelle que son parti a récolté 111 078 signatures en quatre semaines, sait combien la quête est difficile. «On a dénoncé les agissements de certains partis (voir photo Louisa Hanoune, ndlr) qui ont tout fait pour recueillir de fausses signatures en utilisant les fichiers électoraux à l'insu des personnes, souligne-t-il. On connaît les méthodes du parti unique. Mais il y a eu des résistances de la part de fonctionnaires qui ont refusé ces pratiques et qui ont réussi à stopper ces dérives.» Sans surprise, le président de la Commission nationale de supervision de l'élection, Brahmi Lachemi, a affirmé hier que la commission n'avait été saisie «d'aucun cas de dépassement» lié à la collecte des signatures. «Si les cas de dépassement sont avérés, le parquet compétent sera à son tour saisi et décidera des suites à donner», ajoute-t-il.
-Bouira : «Tu signes ou on ne renouvelle pas ton contrat !»
D'après les déclarations de certaines personnes et même des élus proches du FLN, des registres d'état civil auraient été récupérés de plusieurs APC d'obédience FLN pour permettre de remplir les formulaires à la mouhafhadha de Bouira. Officiellement, les membres de la coordination de soutien de la wilaya de Bouira à Abdelaziz Bouteflika, présidée par Ali Drafli, ont nié avoir mis à leur disposition des registres d'état civil. «Nous avons mobilisé plusieurs associations culturelles, syndicales et estudiantines pour la collecte des signatures», affirme-t-il, en précisant que la coordination a collecté quelque 4200 signatures à travers les quatre coins de la wilaya.
Un autre membre de cette coordination, visiblement gêné par nos questions, affirme que ces formulaires ont été signés en quatre jours seulement. Un autre chiffre a été également communiqué par les membres du parti Taj à Bouira, celui de 13000 signatures. Ce chiffre ne regroupe pas toutes les signatures collectées par les différentes organisations politiques autour du parti TAJ d'Amar Ghoul. Le procédé est simple, s'accordent à dire des opposants et surtout des partisans de Ali Benflis. «Hormis les APC de la région berbérophone et celles gérées par des élus de partis d'opposition, ils ont exploité les registres d'état civil pour remplir les formulaires au profit de Bouteflika», précise un membre du bureau de soutien d'Ali Benflis.
A contrecœur
Contacté, un responsable à l'APC de Sour El Ghozlane, fief du parti FLN, a communiqué le chiffre exact des souscriptions faites en faveur du président-candidat. Selon lui, 1814 signatures ont été enregistrées contre 80 pour le candidat Ali Benflis. Notre source affirme que désormais, le service d'état civil est «informatisé». Amina, en pré-emploi dans une direction de wilaya, a affirmé avoir rempli à contrecœur un formulaire au profit d'Abdelaziz Bouteflika en contrepartie du renouvellement de son contrat de travail. «Le chef de service est un élu RND. Il nous a sommés de remplir les formulaires et de faire signer d'autres par des membres de nos familles pour pouvoir renouveler nos contrats. Personnellement, je n'avais pas le choix. J'ai signé. Et j'attends l'expiration de mon contrat de travail d'ici la fin mai pour le renouveler.» Un autre fonctionnaire témoigne que les élus des partis au pouvoir qui travaillent dans des administrations ont ciblé beaucoup plus les femmes. «J'ai assisté à des scènes écœurantes. Munis d'un paquet de formulaires, ils ont abordé des femmes de ménage pour les obliger à donner leurs cartes d'identité et signer les formulaires», raconte-t-il. A Bouira, le nombre de souscriptions en faveur de Bouteflika n'a pas dépassé les 30 000.
-Mascara : Des formulaires remplis... 2 fois !
Selon des témoins directs, l'opération de collecte des signatures en faveur du président-candidat, Abdelaziz Bouteflika, s'est déroulée à deux reprises dans la wilaya de Mascara ! La première a été entamée le 4 février dernier, c'est-à-dire avant même que le Président sortant annonce sa candidature. Les élus des partis FLN et RND ont été appelés à remplir les formulaires de souscription de signatures individuelles de membres élus. La seconde, menée par le FLN, a eu lieu après l'annonce de la candidature de Bouteflika par son Premier ministre, Abdelmalek Sellal, le 22 février, depuis Oran.
Certains élus de l'ex-parti unique avec lesquels nous nous sommes entretenus nous ont confié avoir rempli eux-mêmes les formulaires. «Le lendemain de l'annonce de la candidature de Bouteflika, nous étions appelés à remplir et signer, de nouveau, d'autres formulaires de souscription de signatures individuelles de membres élus et de les remettre à la bonne place», nous a affirmé, le 5 mars, un élu FLN. Un autre élu d'une petite commune dans la wilaya de Mascara, interrogé sur le même sujet, nous a assuré que, lors de la première opération de collecte des signatures, «sur les premiers formulaires, tous les champs ont été remplis sauf ceux ayant trait au choix du candidat et la date de la signature».
Tactique
Les militants du FLN et du RND ont opté pour ce procédé en demandant à leurs élus de ne pas mentionner le nom du candidat sur le formulaire, car «ils doutaient que Bouteflika se présente à la candidature et que le système ne fixe son choix sur un autre candidat». Pourquoi deux opérations de collecte des signatures ? Selon notre interlocuteur, proche du cercle restreint des décideurs du FLN à Mascara, «la première opération de collecte de signatures était une stratégie adoptée par le parti pour empêcher nos élus de signer en faveur de Benflis. Une tactique qui a permis aux partisans de Saâdani de causer beaucoup de difficultés à nos adversaires de l'autre camp».
-Chlef : La grande valse des formulaires vierges
A Chlef, ce n'est un secret pour personne : la collecte des signatures pour le candidat Bouteflika a été une simple formalité puisque les Assemblées élues et les entreprises publiques de la wilaya sont largement dominées par les soutiens au 4e mandat, à savoir FLN, RND, MPA et UGTA. Mais des soutiens au candidat Benflis dénoncent la manière avec laquelle cette opération a été effectuée. «Avant même l'annonce de la candidature de Bouteflika, nous avons surpris un élu de l'APC de Chlef en train de signer un paquet de formulaires vierges au guichet de l'état civil. Cet exemple n'est malheureusement pas un cas isolé. Ces pratiques ont été signalées un peu partout dans la wilaya. Les formulaires en question ont aussi, d'après les témoins, circulé dans les bus de transport de l'entreprise publique relevant du ministère des Transports dirigé par… le président du TAJ», relève Hamid Kouadri-Samet, directeur de campagne du candidat Benflis à Chlef. Pourtant, affirme-t-il, les articles 139 et 140 du code électoral stipulent clairement que «les signatures sont portées sur un formulaire individuel et légalisé» et que «l'utilisation des lieux de culte, des institutions et des administrations publiques, et de tout établissement d'éducation, d'enseignement ou de formation, quelle que soit leur nature pour la collecte des signatures des électeurs, est interdite».


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