La scène politique qui s'emballe à la veille d'un très controversé scrutin présidentiel, a quelque chose de surréaliste eu égard au danger qui guette un pays dont la rente pétrolière s'amenuise et qui, de surcroît, vient de renouer avec l'excès de croissance démographique. Selon de récents chiffres de l'Office national des statistiques (ONS), les naissances enregistrées en Algérie durant l'année 2013 ont, en effet, allègrement dépassé le chiffre d'un million de nouveau-nés, confirmant ainsi les craintes d'une dangereuse poussée démographique qui avait commencé à poindre à la fin des années 2000. La croissance démographique qui s'était stabilisée autour de 1,9% a effectivement augmenté progressivement sans susciter l'attention des autorités politiques algériennes, pour atteindre 2,5% en 2013. A ce rythme, la population algérienne évaluée à 38 millions au début de l'année 2013 dépassera allègrement les 50 millions à l'horizon, pas très lointain, de 2025. Près de 70% de cette population sera en âge de travailler, ce qui, à l'évidence, posera problème si le pays n'est pas en mesure d'assurer des emplois à une part significative des personnes en âge de travailler. Un pari quasi impossible à tenir dans les conditions de développement actuelles marquées, comme on le sait, par des taux de croissance économique trop faibles (moins de 3%), la frilosité de la politique économique actuelle et la régression continue de l'activité industrielle. Pour faire face à l'explosion de la demande sociale qui se profile à cet horizon, il faudrait en effet créer, dans un contexte de forte réduction des recettes d'hydrocarbures qui se profile, pas moins de 10 millions d'emplois nouveaux, construire des centaines de milliers de logements dotés d'équipements collectifs, assurer la formation de millions d'élèves et étudiants et garantir les soins et la sécurité sociale à une population de plus en plus nombreuse et vieillissante. Le pari paraît d'autant plus difficile à tenir qu'il faudra de surcroît opérer dans un contexte de forte réduction des recettes d'hydrocarbures que les excédents mondiaux de gaz et de pétrole rendent inexorables. L'avenir économique pour un pays qui a lié son sort à celui de la rente pétrolière paraît de ce fait sombre et porteur de très graves périls pour la cohésion sociale et la stabilité politique. Si rien de sérieux n'est entrepris pour prendre en charge cette demande sociale en constante augmentation, de graves troubles politiques et sociaux pourraient en être la conséquence logique. C'est pourquoi des voix d'experts ont commencé à s'élever pour recommander à nos gouvernants d'agir énergiquement pour mettre en œuvre dès à présent un nouveau modèle de croissance qui ne sera pas porté par l'Etat uniquement, mais par toutes les forces vives de la nation. C'est notamment le cas de l'économiste Abdelhak Lamiri qui, dans son récent ouvrage La décennie de la dernière chance, est allé jusqu'à dresser à l'attention de ceux qui seront aux commandes du pays après l'élection présidentielle de 2014 une démarche opératoire, indiquant avec force précisions les actions à entreprendre en faveur des secteurs structurants de notre économie. Pour en finir avec les archaïsmes qui entravent les performances productives, de nouvelles manières d'organiser l'entrepreneuriat en intégrant les outils modernes de gestion y sont clairement indiquées. Il faut, insiste-t-il, que les principaux acteurs économiques que constituent les entreprises, les institutions financières et les départements ministériels impliqués dans le développement économique intègrent dans leurs modes de gestion les outils modernes de gouvernance que sont les TIC, les données statistiques fiables, l'intelligence économique, l'économétrie ainsi que tous les instruments de surveillance stratégique qui ont permis à des pays, beaucoup moins lotis que le nôtre, d'émerger. Beaucoup reste malheureusement à faire dans ce domaine et si l'état d'esprit rentier est rétif au changement qui prévaut aujourd'hui en Algérie venait à perdurer, il n'y aura à l'évidence rien de bon à espérer en termes de prise en charge de la demande sociale par le renouveau économique. Notre économie continuera à vivre passivement des importations rendues possibles par la rente pétrolière, et ce, jusqu'à l'épuisement des recettes qui, du reste, ont déjà amorcé un inquiétant déclin. Le travail à accomplir pour remettre sur les rails une économie que les intérêts politiques ont éloigné des règles de fonctionnement universelles est énorme. Il faudra créer en peu d'années (moins de 5 années) tous les outils basiques de l'économie de marché que les gouvernements successifs ont refusé pour une raison ou une autre de mettre en place. Le marché financier, le marché des changes, le marché boursier, les moyens modernes de paiement et autres instruments indispensables à l'émergence d'une économie libérale attendent désespérément d'être mis en œuvre, étant bien entendu que l'émergence d'une économie performante ne saurait s'effectuer sans eux. A défaut, ce sera toujours l'Etat algérien qui financera à partir de ses recettes fiscales, notamment pétrolières, le développement économique au moyen d'entreprises publiques qu'il faudra constamment maintenir sous perfusion et de sociétés étrangères payées en devises. Ce modèle de croissance tel que conçu n'a évidemment aucune chance d'atteindre les objectifs de développement souhaités car il coûtera très cher à l'Etat (environ 1000 milliards de dollars pour les 20 prochaines années selon les estimations de l'ex-ministère de la prospective) qui aura beaucoup de mal à mobiliser autant de ressources si, comme l'indiquent les derniers chiffres de la Banque d'Algérie, les recettes d'hydrocarbures venaient à baisser durablement. Compte tenu de ces nouvelles données, il y a donc lieu de plaider pour un nouveau modèle de croissance intégrant toutes les forces vives de la nation (notamment les opérateurs privés), en faisant valoir les apports de la science et de la technologie. Nous demeurons toutefois convaincus que ce nouveau régime de croissance auquel l'Algérie aspire reste tributaire de l'avènement d'un nouveau régime politique ayant une tout autre approche du développement économique et social que celle qui a de tout temps prévalu en Algérie (développement au seul moyen de la rente pétrolière). Les réformes à entreprendre étant longues et particulièrement difficiles à mettre en œuvre, il est indispensable que ceux qui en seront chargés disposent d'une légitimité politique sans faille. A défaut, les changements bénéfiques espérés pourraient se heurter à des résistances politiques et sociales qui les feraient avorter, avec le risque bien évident de faire sombrer le pays dans la tourmente.