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Si la contestation jette dans la rue les profondeurs du peuple, le régime sera obligé de reculer ou de composer Ali Brahimi. Porte-parole du Mouvement citoyen pour les libertés et le développement
- En quoi le mouvement de contestation contre le quatrième mandat, qui est en train de se structurer, est, à votre avis, différent de tous ceux qui l'ont précédé ? Dans un régime où les dirigeants ont volé et faussé l'histoire, privatisé l'Etat, les institutions et les ressources matérielles et exclu leur peuple, chaque contestation est une bouffée d'oxygène qui ravive l'espoir. Bienvenue à toutes les révoltes et à leur agrégation. Plus que dans n'importe quel scrutin, il y a, cette fois, un profond malaise, une révolte dans une large part des rangs du peuple et parmi l'écrasante majorité de la classe politique, y compris chez d'anciens soutiens de Bouteflika. Les motifs des uns et des autres ne sont pas forcément l'opposition en soi à la quatrième candidature de Bouteflika. De manière générale, la désaffection et la révolte sont essentiellement justifiées par le verrouillage visible et mortel du scrutin, en amont et en aval. La candidature de Bouteflika est aussi, à juste titre, perçue comme un barrage à toute forme d'alternance, l'homme n'étant pas connu pour organiser des élections qu'il va perdre. Toutefois, c'est une erreur et un tort de présenter la révolte comme populaire. Mais les citoyens sont méfiants de ceux qui se limitent à la seule dénonciation de la candidature de Bouteflika, les soupçonnant d'être des relais d'un clan adverse et/ou du DRS. - Du nouveau dans la démarche des partis qui boycottent ? Dans la société politique, le rapprochement entre un parti de la mouvance laïque, le RCD, avec certains partis islamistes, est une approche nouvelle. Toutefois, la démarche reste totalement événementielle puisqu'elle n'a pas été précédée ou entourée d'un déblayage ou d'un élagage des divergences doctrinaires et idéologiques qui les ont toujours séparés. Beaucoup de militants du courant démocratique y voient une alliance contre nature. Pour ma part, je pense que le courant islamiste doit rapidement tirer les leçons de quarante années d'existence, dont l'apogée a entraîné le pays dans un bain de sang et un brasier non encore éteint. La participation d'une aile de ce courant au gouvernement durant près de vingt ans a également révélé un rapport à l'argent public pour le moins anachronique. Ces situations, et d'autres, ont démythifié une mouvance présentée comme l'antidote moral à la corruption du régime et l'alternative à son échec économique. Le défi essentiel, pour les partis islamistes, est d'arriver à faire émerger le citoyen du croyant et l'homme politique de l'imam. En gros, il est temps pour les partis islamistes algériens de proclamer la reconnaissance des droits de l'homme dans leur universalité, notamment le respect des minorités, les libertés de conscience et de culte que le Coran a, le premier, érigé au rang de droit naturel. La reconnaissance de l'égalité homme-femme procède d'un ijtihad tout à fait compatible avec l'esprit du message coranique. La renonciation à la charia s'impose, celle-ci étant essentiellement le produit des hommes et de l'idéologie masculine des siècles obscurs. Cette évolution apaisera les peurs et les haines mutuelles et sera certainement bénéfique au le pays. - Et dans la société civile ? J'ai particulièrement apprécié la démarche citoyenne qui a donné naissance au mouvement Barakat. Certaines leçons de la neutralisation de la CNCD semblent avoir été tirées, en ce sens que l'implication de chacun est individuelle, sans regard à son appartenance partisane. Toutefois, ce serait une erreur de développer un discours ou une pratique anti-partis, ceux-ci étant un acquis du peuple algérien. Souhaitons que les affirmations individuelles et naturelles de nouveaux leaderships ne débouchent pas sur des querelles d'ego mortelles à une dynamique solidaire émergente. Même si elle est légitime et compréhensible, la focalisation sur la seule personne du Président ne peut lasser et démobiliser beaucoup de citoyens, qui savent que le désastre est le plus grand dénominateur commun du régime et de son personnel politique. - Les militants de Barakat se disent submergés par les demandes en provenance de l'intérieur du pays pour se structurer. On a toujours entendu que les Algériens étaient fatigués, trop préoccupés par leurs difficultés matérielles, trop dépolitisés pour se mobiliser sur de simples revendications politiques. En l'occurrence, dire non à un nouveau mandat. Comment expliquer un engouement aussi subit ? Je ne suis pas au fait de l'évolution organique de Barakat, mais c'est une perspective nécessaire et vitale d'élargir et d'organiser la contestation dans tout le pays. Il faut juste veiller à ne pas s'encombrer de tous les «jaunes» et nervis dont le régime entretient, dans chaque ville et village, le statut d'opposants factices à coups de cachets et de billets de banque. On aurait tort de croire que les Algériens sont dépolitisés ou ne sont pas écorchés vifs par le malheur de leur pays. Ce qui a démobilisé les militants et les citoyens, c'est le spectacle de divisions, de guerres d'ego et de zaïmismes incommensurables qu'a offerts l'opposition, notamment démocratique. Je suis prêt à parier que si tous les frères d'armes se retrouvent dans l'action pacifique, mais déterminée, contre le régime, le peuple se remobilisera et les décideurs accepteront de négocier une sortie honorable du système, qui les emprisonne eux-mêmes pour la plupart. - Une des caractéristiques de cette contestation est l'absence de «figures» politisées et charismatiques comme on a l'habitude d'en voir à la tête des manifestations. Comment expliquez-vous cela ? Eh bien, c'est une bonne chose que de nouvelles figures émergent. C'est signe que la société renouvelle ses anticorps. C'était notre cas après les premières années de l'indépendance, sauf que nous, nous n'avions pas trouvé (hormis la mouvance du PAGS) d'aînés présents pour guider nos pas. Notre génération doit trouver les passerelles et les mécanismes –et ces mouvements en sont– de transmettre leur expérience et leur savoir-faire. - Pensez-vous que le pouvoir sera, cette fois encore, en mesure d'y répondre avec ses outils traditionnels de réponse à la protestation (répression/implosion) ? Il est encore trop tôt pour évaluer l'ampleur et la détermination de cette lame de fond. Pour le moment, le nombre hyper-élevé de policiers et l'expérience solide que le pouvoir possède en matière de gestion des foules peuvent sembler invincibles. Mais si la contestation jette dans la rue les profondeurs du peuple, le régime sera obligé de reculer ou même de composer avec le mouvement citoyen et l'opposition, la conjoncture électorale n'étant pas la plus propice à une répression musclée. - Dans les commissariats, où les manifestants de Barakat ont été amenés, la police a, d'après eux, exprimé sa solidarité vis-à-vis de leur mouvement. Des militaires ont aussi marqué leur soutien à cette contestation en arrachant leur grade et en écrivant un message. Comment interprétez-vous ces signes en provenance des institutions mêmes du système ? Je n'ai pas vu de tels cas pour savoir s'ils relèvent de l'expression d'une révolte individuelle – tout à fait possible devant l'impasse qui frappe notre pays – ou celle d'un schisme dans les institutions, tout à fait possible aussi, le régime ayant clanifié les institutions de l'Etat. Je peux seulement dire que les policiers, les gendarmes et les militaires sont d'abord des Algériens, qui ressentent les mêmes émotions et vivent souvent les mêmes contraintes sociales, économiques, cultuelles et politiques que la majorité de leurs concitoyens civils. Beaucoup d'entre eux ressentent en effet mal l'image répressive et corrompue que donnent injustement de leurs corps certains dirigeants.
- Pensez-vous que les partis boycottent faute d'avoir à leur disposition d'autres outils politiques (liberté de manifester, de tenir des meetings, etc.) ? Ce qui fait partie de la culture civile, c'est d'abord l'abstention, notamment celle des femmes plus ou moins empêchées de voter, celle des jeunes qui n'ont pas confiance, à juste titre. Une constante nationale du régime est le refus de reconnaître les partisans du boycott à qui sont refusées les salles, les autorisations et autres accès aux médias publics. Si tu me refuses le droit de frauder, je te supprime le droit d'exister. Fondamentalement, le mot d'ordre de boycott est l'expression d'un champ politique et institutionnel cadenassé par le pouvoir devant l'opposition et l'alternance. Mais dans le fond, participation et boycott sont capitalisés par le régime, la première pour crédibiliser l'élection par l'image de l'adversaire, le second pour faciliter la fraude, plus difficile à commettre si tous les électeurs exprimaient leurs suffrages. Ceci étant, en Algérie, il ne suffit pas de voter en masse, encore faut-il rester dans les bureaux de vote et protéger sa voix, parfois contre la violence des armes comme en 1997. Dès lors, la meilleure alternative est de se rassembler et de mobiliser les citoyens, le peuple, pour arriver à imposer d'abord des élections libres et transparentes. C'est ce que nous privilégions.