L'officialisation devra déverrouiller toutes les entraves à l'épanouissement de notre identité et notre langue La commémoration du 34e anniversaire du Printemps berbère arrive cette année dans un contexte particulier marqué par l'élection présidentielle. Pour des raisons de division des chapelles politiques, les animateurs du Printemps berbère depuis 1980 et bien avant, se retrouvent éparpillés et éprouvent des difficultés à faire un état des lieux. Une quarantaine d'anciens militants ont lancé un appel à des marches commémoratives à Béjaïa, Bouira et Tizi Ouzou pour célébrer ce 34e anniversaire du 20 avril 1980. Ces marches sont prévues à la même heure, dans les trois villes, à savoir à 11 h, annoncent les signataires dans un communiqué issu d'une réunion à Tighremt à Béjaïa, le 11 avril dernier. Parmi les signataires figurent des militants de la cause identitaire amazighe, comme Mouloud Lounaouci, Saïd Khelil, Malika Baraka, Rachid Oulebsir, Mohand Aït Ighil, Bezza Bencheikh, Mohand Larbi Boutrid ou encore Aziz Tari, d'anciens militants du Mouvement berbère. Cet appel sert à réaffirmer l'attachement des signataires aux valeurs «d'avril 1980», précisent-ils. Entretien réalisé avec Rachid Oulebsir, un ancien militant du MCB, écrivain-romancier et chercheur en patrimoine immatériel kabyle. L'Expression: Cette année la commémoration coïncide avec une conjoncture particulière d'où votre appel de Tighremt avec un groupe de militants, pouvez-vous nous éclairer sur cet appel? Rachid Oulebsir: L'appel est public, il émane de centaines de personnalités connues pour leur présence sur le terrain auprès de la population amazighe de notre vaste pays. 41 noms sont les premiers signataires portés par l'appel de Tighremt. L'appel est largement diffusé sur la Toile et repris par la presse écrite et les autres médias (radios et télés). Il est d'une grande clarté. Le 20 avril arrive cette année dans un contexte marqué par l'élection présidentielle. Nous avons appelé à une marche pacifique, à la mobilisation dans l'unité, à la vigilance. Nous réaffirmons des deux principaux mots d'ordre d'avril 1980 consensuels à savoir: la reconnaissance de l'identité et de la langue amazighes, et le respect des libertés démocratiques. Ces deux fondements de notre unité culturelle se déclinent aujourd'hui dans une troisième exigence forte, qui est la reconnaissance de tamazight comme langue officielle dans la pratique institutionnelle quotidienne. L'officialisation devra déverrouiller toutes les entraves à l'épanouissement de notre identité et notre langue, et distinguer le bon grain de l'ivraie. Quels sont les objectifs que vous donnez à cette nouvelle démarche? Arracher par la voie pacifique l'officialisation de tamazight, en plus des objectifs culturels consensuels autour de la remobilisation des moyens humains, matériels et symboliques pour nourrir notre identité aux exigences du monde moderne actuel et aux valeurs de l'universalité, que porte la civilisation amazighe historiquement ouverte sur l'Afrique, l'Occident et l'Orient. Nous avons à coeur de remobiliser la jeunesse autour de la question identitaire et lui passer le témoin. Et qu'en est-il de l'après 20 avril? Est-ce que vouscomptez rebondir sur le terrain ou plutôt juste une action conjoncturelle? Nous partons pour une action pérenne sur le terrain des luttes culturelles. Après le 20, ceux qui aiment les rituels folkloriques entreront de nouveau en hibernation, ceux qui ont opté pour la création retrouveront leurs chantiers culturels forts de cette nouvelle dynamique populaire. Cet appel est une réponse à une attente populaire pour tamazight, il exprime notre attachement à nos valeurs et pour le respect de notre mémoire collective lourde de valeurs et de sacrifices. Il n'a jamais été question, à aucun moment lors de cette rencontre de Tighremt, d'utiliser le 20 avril comme tremplin politique. Quel état des lieux faites-vous de la revendication amazighe (identité, langue, culture...) en ce 34e anniversaire d'avril 1980? Les acquis sont fragiles au regard des décennies de combat, de sacrifices en énergie et vies humaines. Ils peuvent être remis en question, à tout moment. Il faut rappeler que tamazight n'a été constitutionalisée langue nationale qu'après la répression qui s'est abattue sur toute la région de Kabylie au printemps 2001 et l'assassinat par les forces de sécurité de 126 jeunes manifestants. L'enseignement de notre langue maternelle est en régression. L'édition et la production littéraires sont en déshérence. Le Haut Commissariat à l'amazighité (HCA) est une coquille vide, un organe coupé du terrain des mutations sociales et culturelles quotidiennes. C'est un peu comme un oiseau en cage et même à l'intérieur de sa cage, on lui entrave les ailes par précaution politique. A ce jour, nous n'avons pas réussi, par manque de moyens et surtout pour des raisons de division des chapelles politiques, à faire un état des lieux de notre patrimoine immatériel, savoir ce qui nous reste des valeurs des ancêtres et organiser la sauvegarde de notre identité, son actualisation et sa modernisation.